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Photo du rédacteurCretté Alexandra

Julia qui travaillait dans la maison - une nouvelle de Miguel Duplan

C’était le temps où j’étais encore marié. Sacha venait à peine de naître et les difficultés du quotidien s’amoncelaient devant la porte de notre grand appartement sis à Cayenne pas très loin de la cathédrale Saint-Sauveur. Il nous était apparu évident qu’elle ne voulait plus tout faire : s’occuper de la petite, visiter ses chantiers, donner à manger à l’homme le midi et passer le balai à la moindre poussière. Et c’est comme ça que Julia est entrée dans notre maison. Ni trop jeune, ni trop vieille, elle était grande et osseuse, des bras jugés courts, un buste long sur lequel était posé une tête douce et sévère, des cheveux raides qui pendaient toujours en arrière. Et un sourire qu’elle serrait à tout jamais. D’une seule autorité, elle avait réorganisé l’appartement à sa convenance … c’est moi seulement qui travaille ici... Elle avait disposé mes livres et autres sujets peu utiles dans le fond d’une pièce … ça donne la poussière tout ça… Et elle s’était attelée maintenant à tout faire briller. Elle lustrait même les vitres du balcon, elle s’occupait de mon manger chaud et parfois nettoyait le cul de la petite quand vraiment j’y mettais peu d’ardeur. En deux temps trois mouvements, c’était Julia par-ci, Julia par-là et nous soupirions d’aise en fin de journée. N’empêche qu’elle avait su trouver, économe de paroles qu’elle était, les bons discours. J’avais même essayé de jouer à celui qui comprend l’autre, je lui avais raconté deux trois histoires que Le Gros m’avait apprise, j’avais lâché quelques noms de lieux que je connaissais. Rien n’y faisait. Elle se taisait et me regardait durement faire l’intéressant sur mon corps. Pourtant, je revois mieux la scène quand je réécris ces mots-là, elle repassait les oripeaux de la petite, elle avait cette habitude de fixer la télé quand elle travaillait comme ça, un après midi de grosse pluie, le journal parlé s’était attardé sur des images qui venaient de chez elle. Le reportage montrait un homme presque nu, yeux hagards et gestes disloqués, qui s’enfuyait dans une rue haineuse, un pneu enflammé autour du cou. La mort était certainement son lot. Elle avait fermé les yeux, quelques larmes avaient coulé et sans rien dire, elle s’était précipitée sur Sacha, l’avait placée dans le milieu de ses bras, elle l’avait secouée comme afin de la réveiller, me l’avait tendue d’un coup sec et elle m’avait dit enfin : Tu vois Monsieur Jean-Baptiste, j’ai laissé là-bas, à Port-au-Prince, une douleur bien vive. Prends vite Sacha dans tes bras et chante-lui ce que je lui ai chanté hier …Haïti chérie… je t’aime… c’est ça qui est vivre seulement.


Sainte-Marie, fin janvier 2010




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