Vendredi 1er décembre 2023
Mon ami,
Je suis sortie de mon travail tout à l’heure et j’ai regardé le ciel bleu de Rémire. Le soleil qui jouait dans les palmes des jardins un peu plus loin. Les ipé jaunes et décoratifs entretenus par le cortège des jardiniers municipaux. J’ai relevé les yeux en essayant d’imaginer ce ciel traversé par les bombes qui tombent depuis ce matin sur Gaza. Je n’ai pas réussi.
J ‘ai regardé mes élèves sortir du lycée, avec leurs sacs, leur vêtements propres. J’ai regardé une jeune fille fumer une cigarette contre la grille. Il y avait aussi des vélos, mais à 11h personne ne traîne guère tant le soleil est chaud. J’ai tenté d’imaginer les adolescents sous les bombes, les écoles en ruines, les cris devant les corps qui traversent les rues sur des civières, ou à bout de bras dans les rues de Gaza. Je n’ai pas réussi.
J’ai regardé sur mon portable des images terrifiantes de la ville en cendre. J'ai pensé à mon grand-père qui m’avait parlé de Dresde quand j’étais petite. Moi, seule, j’ai pensé tout d’un coup à Kobé. Quand mes yeux sont revenus sur le portable, il y avait des discours affreux impossibles à écouter qui parlaient de loi du talion. J ‘ai essayé d’imaginer ce que je pourrais ressentir en écoutant cela avec mon enfant sous les décombres. Je n ‘ai pas réussi.
Mon ami, en argot créole une Gaza est une fille des rues. Un peu vulgaire. Amoureuse d’une petite frappe à qui elle chante des zouks langoureux ou des dancehalls pornographiques. Elle jure beaucoup et toise le monde.
En Guyane, Gaza est le nom d’un quartier pauvre du fin fond du bidonville de Cogneau. Lorsque les mots s’écrivent ici, c’est tout un monde qui surgit derrière. Ils se superposent à des images de théâtre médiatiques et des années lumière d’indifférence, de détachement.
J’ai essayé de me détacher, de ne pas penser à la reprise des bombardements. A la poussière. A la terreur.
Je n’ai pas réussi.
