Ce rêve contient plusieurs paysages, ou si l’on veut tableaux, toiles, œuvres peintes, mais trois, particulièrement, s’en détachent.
Le premier est celui d’une plage qui s’étend entre les pieds d’un morne nu et la mer transparente. Ce pourrait être aussi sous un parapet veillé par des canons, la gueule dirigée vers le large. Au fond ce qui compte c’est le sable, sale, parsemé de déchets : préservatifs, bouteilles en plastique non-biodégradable de jus de fruit Juna, paquets froissés de cigarettes Comme il faut, bouteilles de bière, Prestige et Presidente aux tessons mêlés afin de sceller l’amitié de deux peuples.
Des sacs en plastique, des cartons, des chiffons usés imbibés des produits les plus inavouables et de multiples emballages éventrés portant la griffe des plus prestigieuses organisations internationales. On peut aller jusqu’aux carcasses de voitures et bidons graisseux, les cadavres d’animaux et d’hommes, dans les limites du bon goût, demeurent plausibles. Des plages propres, belles, ordonnées, se détachent aussi, en arrière-plan, ni tout à fait vraies ni tout à fait imaginaires, difficiles d’accès.
Kapôt Pantè pa pran gôl
Les détritus sont en grande partie nationaux, témoins d’une épopée bicentenaire. Les canons, de fabrication anglaise, disposés là pour préserver à jamais le pays de tout esclavage, rappellent que très haut, en surplomb, une citadelle veille. On examinera en détail les carcasses de voitures. L’ingéniosité avec laquelle sont rassemblées des pièces de provenances diverses, ce tour de la planète des marques d’automobiles reconstituées en une création originale appelée bogota, témoigne, s’il en était encore nécessaire, du génie créateur du peuple. Analphabète mais pas bête
On évitera les traditionnels paquets entourés de chatterton contenant de la cocaïne largués d’un avion. Il faut compter avec les limites de la représentation qui sont aussi celles du réalisme merveilleux. Invisibles, ces paquets, marquent le paysage mais invisiblement.
Yo lagè wanga nan kay-la
On peut, dans une version simplifiée du tableau, imaginer des détritus moins variés, éliminer une partie des cartons et des tôles. Ce n’est pas l’accumulation, l’amoncellement, mais un subtil effet de perspective qui donne son cachet à l’œuvre. L’âge de l’art naïf est dépassé. Que les déchets s’étendent à l’infini sans toutefois changer la plage en une décharge.
Déyè môn, gen môn
Certes, un tableau, ordinairement, est inodore mais ce paysage pue atrocement. On pourra si l’on veut, introduire des personnages dans le tableau. En dehors, cela va de soi, des héros principaux, guère nombreux, nous le verrons.
On disposera ces personnages autour de grands braseros où grésillent des viandes, on les placera derrière des étals où s’offre une marchandise d’origine aussi diverse que peu précieuse.
Ils pourront aussi, disséminés dans le paysage, s’adonner à des siestes, des ébats érotiques ou des combats dont les raisons demeurent aussi obscures que leurs déroulements.
La présence humaine n’est pas plus impossible qu’indispensable, comme toute présence en ce monde.
Les masses, nous les appellerons ainsi, remplissent les toiles de toute manière, telles la cocaïne, nous l’avons dit, invisiblement. Autant les montrer. De toute façon elles ne s’échapperont jamais du paysage.
C’est en rêvant surtout que les petites filles se prennent pour leur mère.
(conseils amoureux d’une maman à sa petite fille)
Fouiller le nombril de la terre. Interpréter le bruit du vent dans les feuilles de palmiste. Savoir distinguer un cri d'un rire et un rire d'un pleur. Ecraser des feuilles pour faire vivre ou mourir. Changer la nuit en jour dans l'âme de qui veut bien me raconter ses rêves. Laisser le ciel troué de blancs. L'air, le feu, l'eau et la terre nous suffisent. Ne plus se défendre auprès du bon peuple prêt à vendre sa peau pour trois gouttes d'eau bénite. Se foutre de son affection, de son respect et de son estime. Qu'il aille dans ses messes implorer le pardon d'exister. Ils préfèrent encore trois armées d'occupation bien calées entre les cuisses de leurs femmes et de leurs filles.
(considérations désabusées d’une petite fille sur l’amour maternel)
Nous nous aimions, elle et moi, d'une manière étrange, lointaine, évanescente. C'est peut-être dommage, mais c'est ainsi.
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