Pour aborder cette traduction, je me suis adossé à trois postulats.
I
La poésie peut être une arme. Quand le poète veut combattre l’injustice et qu’il n’a ni sagaie, ni fusil, ni canon, ni missile il utilise alors les mots pour en faire un cocktail parfois plus terrible qu’un cocktail molotov.
Le poète espagnol Gabriel Celaya a une belle formule pour l’exprimer, il dit :« La poésie est une arme chargée de futur. » :
Et elle a été une arme pour :
José MARTY - Pablo NERUDA - Frédérico Garcia Lorca - Arthur RIMBEAU - Jean FERRAT - Mahmoud DARWICH - Louis ARAGON - Victor HUGO qui ont combattu l’impérialisme, la dictature, le fascisme,,les injustices, la misère ; et lui Aimé CESAIRE que je devine comme un jeune homme provocateur, pertinent et impertinent, malicieux et déroutant combattait le colonialisme
II
La poésie est probablement la forme d’expression qui puise le plus profondément dans la conscience, dans l’inconscient, dans l’être du poète.
III
Tout individu se développe dans une interaction permanente avec son environnement et cette interaction conditionne jusqu’aux gênes. Et c’est pendant les jeunes années que cette interaction a le plus d’effets. D’ailleurs dans l’un de ses nombreux entretiens A.CESAIRE le confirme en parlant de sa commune natale Basse-Pointe. Il dit : « Nous avons été toujours en accord parfait car Basse-Pointe a structuré mon cœur, a architecturé ma poésie. […] Eh ! bien je n’ai peut-être pas longtemps habité Basse-Pointe, mais Basse-Pointe m’a toujours habité »
Partant de cela j’ai entrepris une démarche qui consistait à marcher dans les pas de CESAIRE. J’ai revisité Basse-Pointe, j’ai traversé les quartiers de Emma, DEMARRE, de Magdelonette, J’ai arpenté les grandes plantations de la région et je me suis ensuite arrêté sur l’ancien port, face à la mer.
Là, j’ai bien réalisé que le poète CESAIRE avait grandi dans une nature luxuriante, dans des paysages tourmentés, qu’il avait face à lui un océan hystérique
et derrière lui un volcan monstrueux qui venait d’exterminer près de 30.000 personnes. Que ces grandes plantations qu’il traversait était l’espace où on privait des êtres humains de ce qu’ils ont de plus précieux : leur humanité.
Revenu chez moi, je retrouvais tous ces éléments dans le « Cahier d’un retour au pays natal ».
Quand on a traversé les campagnes de Basse-Pointe, on comprend mieux pourquoi CESAIRE ne s’est pas soumis à l’implacable géométrie du sonnet, de l’alexandrin. Il a plutôt succombé à la géométrie de la nature qui est celle qui régit le mouvement complexe des astres, qui régit l’éclosion d’une fleur de balisier ou encore la croissance d’une conque de lambi.
La poésie de CESAIRE a plus à voir avec le jardin créole qu’avec les jardins à la française. Sa poésie a une lexicographie riche et sophistiquée qui rappelle la biodiversité dans le jardin créole. La surprenante syntaxe rappelle la science de l’organisation du jardin créole qui peut à première vue donner une impression de fouillis mais qui en réalité est soumise à une logique implacable.
On se rend compte aussi que le « Cahier d’un retour au pays natal » est un cri chargé de souffrance, de colère, de révolte et d’espoir.
Ce cri, je l’ai traduit comme la parole d’un coupeur de cannes de Basse-Pointe après une rude journée de travail. Comme la parole qui s’entend sur le marché de Fort-de-France, sur la corde de la senne au Carbet ou dans un lasotè au Morne-Vert. Cette parole qui jaillit en feu d’artifice, et qui porte une pensée qui sort du plus profond de l’être, à la source même du malheur.
CESAIRE dit : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche ».
J’ai donc tenté de transcrire le cri qui sortirait de la bouche même du malheur et voilà ce que cela a donné :
Isambert DURIVEAU
Comments