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Lettre à mon ami Danove de Sandie Colas

  • Photo du rédacteur: Cretté Alexandra
    Cretté Alexandra
  • il y a 13 heures
  • 4 min de lecture

Cher ami,


Tes mots m’ont touchée comme une vague qui ramène à la rive des souvenirs précieux. J’ai bu

tes lignes encore et encore, comme on s’abreuve d’une source intarissable, et j’y ai trouvé tendresse, nostalgie et éclat d’une amitié qui n’a jamais faibli.

Pardonne-moi, le temps s’est enfui comme du sable entre mes doigts, et le silence, loin d’être

l’oubli, n’était que l’inertie des jours qui m’a tenue loin des mots.

En te relisant, j’ai senti le passé et le présent s’embrasser comme deux rivières qui, après mille

détours, mêlent enfin leurs eaux. Tes mots ont été pour moi des éclats de braise, ravivant la flamme

de nos souvenirs communs, tout en éclairant les ombres de notre temps. La capitale et ses blessures, la Guyane et ses silences : partout la même danse fragile, où la vie s’entête à surgir entre éclat de lumière et morsure d’obscurité.

C’est dans cet élan que je veux te raconter un fragment de mon présent, un séjour au Jardin du

Bois de Rose, ce sanctuaire où la nature n’est pas décor mais cathédrale vivante. Les arbres

dressaient leurs troncs comme des colonnes de pierre, les lianes se nouaient en arabesques

mystérieuses, et les fleurs flamboyaient comme des offrandes au ciel. Les plantes médicinales, aux

senteurs secrètes, m’ont ramenée vers une mémoire ancienne : celle de mes années d’études, sous

le regard passionné de ma prof de biologie végétale. Elle m’avait appris à écouter la sève et les

racines, à comprendre que chaque feuille est une parole, que chaque plante est un souffle qui

maintient le monde en équilibre. Elle disait que la botanique n’est pas une science froide, mais une

écriture sacrée : celle de la Terre elle-même.

Un vieux pont de bois gris s’avançait sur le lac, miroir trouble où flottaient des feuilles mortes.

Sous l’eau, des caïmans veillaient, silhouettes immobiles et terribles. Plus haut, des singes aux

yeux noirs bondissaient de branche en branche, tandis que des papillons multicolores traçaient

dans l’air des prières silencieuses.

La nuit venue, je me suis couchée dans un hamac, sous un ciel constellé d’étoiles, bercée par le

concert infini des insectes et par le souffle grave de la forêt, j’ai goûté la beauté brute de la

nature. Le premier soir, j’ai veillé, convaincue qu’une main d’ombre avait effleuré le seuil de

mes songes. Comme si la forêt voulait d’abord éprouver mon courage, tester ma foi en son

hospitalité avant de m’adopter. Les nuits suivantes, je me suis laissée bercer par son souffle,

comme un enfant au creux de son berceau végétal.

Ce séjour fut illuminé par la présence de jeunes femmes ardentes, chercheuses de vérité et de

lumière. Ensemble, nous avons lu Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon. Chaque page était

un miroir brisé où se reflétaient nos visages. Ses mots ont rouvert des plaies anciennes : celles de

l’enfance, quand dans ma fratrie, j’étais la seule à porter sur ma peau la nuit. Combien de fois ai -je senti ce regard qui me désignait comme étrangère au sein même de mon sang ? Combien de fois ai-je désiré me dissoudre dans la couleur de mes sœurs pour échapper au verdict muet des autres ?

« Pour le Noir, il n'y a qu'un destin. Et il est blanc », écrit Fanon. Et ce constat continue

d’empoisonner nos jours. Trop d’hommes et de femmes s’acharnent à dépouiller leur peau comme

on arrache une faute, à se blanchir comme pour effacer une malédiction. Mais ce qu’ils ignorent,

c’est que le noir n’est pas absence. Il est profondeur, matrice, cosmos. Le noir, c’est le mystère

fertile d’où jaillissent les étoiles.

Alors je me suis souvenue des mots de Césaire : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui

n’ont point de bouche. » Et j’ai compris que nos voix doivent s’unir à ce chœur : dire l’indicible,

nommer l’injustice, arracher à la nuit des semences de clarté. Comme le martelait encore Césaire,

« ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour, ma négritude n’est

pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre, ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale,

elle plonge dans la chair rouge du sol, elle plonge dans la chair ardente du ciel, elle troue

l'accablement opaque de sa droite patience.» Ma négritude est horizon.

Quand nous nous reverrons, j’aimerais que nous marchions ensemble sur ce chemin de

questionnement et de lumière. Qu’au bord du silence, nous cherchions comment rompre ces

chaînes invisibles qui courbent encore tant de dos. Et qu’ensemble nous récitions la prière de

Fanon : « Ô mon corps, fais de moi toujours un homme qui s’interroge. »

Et puis, imaginons-nous, un jour, marchant sur le sable chaud des Caraïbes, laissant nos voix et

nos silences se mêler au souffle du vent. Que nos rires et nos réflexions tracent des chemins

invisibles dans l’écume, et que ce moment devienne une étincelle suspendue dans le temps, pour

nous rappeler que l’amitié et la lumière des idées sont des étoiles qui ne s’éteignent jamais.


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