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Lettre à Alexandra, soeur de plume. texte de Sandie Colas

  • Photo du rédacteur: Stéphane THOMAS
    Stéphane THOMAS
  • il y a 6 jours
  • 4 min de lecture

« Une histoire, encore une histoire à ne pas oublier... Trop longue est la marche pour un peu de vide en son âme... et recueillir autre chose que le silence... je préfère ouvrir ma porte aux grains perdus par les arbres sur la plage. »Alexandra Cretté, Par le regard de ces autres mal-nés


Tu as ouvert ta porte, Alex. À nous, les épars, les incertains, les voix encore tremblantes. Tu as tendu la main là où d’autres détournent les yeux. Tu as choisi les grains perdus, les feux timides, les mots bruts. Depuis toi, nous avons appris que la littérature pouvait être une maison — et toi, tu en es l’aînée généreuse, la bâtisseuse ardente.

Je t’ai rencontrée un jour sans fracas, et depuis, ton empreinte ne cesse d’écrire sur mes jours. C’était plus qu’une rencontre : c’était un accueil, tu m’as tendu les bras avec une bienveillance rare, cette douceur propre à ceux qui croient profondément en l’humain, en l’autre, en l’élan d’une plume encore hésitante.

Tu es une femme habitée. Non pas seulement par les mots mais par leur nécessité. En toi, la littérature ne se lit pas, elle se vit. Elle se cuisine dans ta maison aux mille rires, elle joue au baby-foot, elle se glisse entre les rayons de ta bibliothèque, elle nous rassemble, nous unit, nous fait famille.

Ton recueil Par le regard de ces autres mal-nés, couronné du prix Balisaille, ne fut pas une naissance, mais une révélation. Une parole dressée debout dans les vents du monde. À travers chaque page, je lisais la tendresse farouche de ton regard, ce regard que tu poses sur les êtres abîmés, les voix tues, les mémoires fracturées.

Au-delà de ton talent d’écrivaine, c’est ton dévouement qui m’émeut le plus. Tu portes la revue Oyapock comme on porte un feu sacré. Avec toi, chaque projet devient navire. Chaque rencontre littéraire, un port inconnu.

Je me souviens avec émotion de la première de l’anthologie. Tu rayonnais. Ton cœur brillait à travers tes yeux.

Saint-Laurent, tu t’en souviens ? Cette nuit suspendue dans la beauté, de poésie partagée sous les étoiles, les verres levés entre rires et confidences. La mer à quelques pas, la place animée d’un groupe de breakdance dont les corps dansaient comme les vers d’un slam invisible. Je nous revois au petit resto, parlant d’amour, d’écriture, d’amitié et de vin. Le ciel étoilé n’était pas plus vaste que nos conversations. Nous étions des mots debout dans la nuit.

Vieux os, ce poète à l’appétit de mots plus grand que celui de la table, écrivait sans relâche, comme si chaque seconde contenait un vers à sauver, comme s’il avait juré de tout recueillir pour que rien ne se perde.

Baloufrap que l’on disait plus facile à vêtir qu’à rassasier portait la langue française comme une toge de justice : traquant les lapsus, redressant les mots vacillants, corrigeant les accents avec la rigueur d’un veilleur d’académie.

4JR, toujours entre deux anecdotes, déroulait ses récits comme un griot urbain, ponctuant chaque mot d’un éclat, d’un sourire, d’un charme inévitable. Et moi, j’étais là — présence légère, sourire aux lèvres, observant ce petit théâtre de vivants où l’amitié se conjugue au pluriel.

Toi, Alex, tu tenais le fil invisible de tout cela. Tu ne parlais pas plus fort, mais ta voix résonnait en chacun. Tu étais le centre immobile de cette constellation d’auteurs, le cœur battant de nos dérives.

Après minuit, nous avons marché dans la rue, le long du fleuve, face au Surinam illuminé comme un poème. Tu nous as guidés vers cette maison amie. Le chien sentinelle a surgi, nous nous sommes précipités dans la voiture, paniqués, et nos rires effrayés ont résonné dans la cour comme une improvisation joyeuse.

Et ce moment derrière la bâtisse, ce murmure partagé dans la nuit, jusqu’à cette chute — cette glissade absurde qui t’a jetée sans t’ôter ta beauté. Tu t’es relevée plus préoccupée du danger que des égratignures.

Tu es ainsi, Alex. Toujours tournée vers l’autre. Même dans la douleur, même dans la chute. A ce moment j’ai vu en toi non seulement une poétesse, mais une douceur intacte, l’attention absolue. Même à terre, tu veilles.

Cette nuit-là, j’ai dormi à tes côtés comme on dort près d’une étoile. Mon sommeil, d’habitude vagabond, s’est couché à tes pieds, docile. Et dans mes songes, tu m’as chuchoté : “continue d’écrire, fais entendre ta voix”. C’était simple, c’était sacré.

Le matin s’est levé au cocorico des coqs. Sous les manguiers complices, moi et vieux os, les bras chargés de mangues, riions comme des enfants. Le balcon nous a rassemblés autour du célèbre roman Gouverneurs de la rosée“Nous mourrons tous : les bêtes, les plantes, les chrétiens vivants.”, nous dit Jacques Roumain par l’organe de Délira. Et pourtant, ce jour-là nous vivions pleinement. J’ai cueilli des citronnelles, j’ai fait du thé pour ma gorge qui jouait à la basse. Tu t’es levée avec grâce, douce lumière dans l’épuisement. On a parlé, lentement, comme on boit un dernier vers.

Ce souvenir est un trésor. L’un de ceux que je garde au plus proche du cœur. Alors je t’écris, non pour une date à fêter, mais pour l’éternité que tu sèmes dans nos vies. Tu es une présence, une force, un modèle. Tu es de ces rares personnes qui rendent le monde plus habitable.

Je t’écris, Alex, pour te dire que tu es une âme magnifique. Que je t’admire. Que je t’aime fort. Que ce printemps soit à ton image : lumineux, fertile, débordant de vie. Et que jamais le feu de tes mots ne s’éteigne.

Sœur de mots, sœur de feu, merci. Que ce printemps, et tous ceux à venir, te rendent au centuple tout ce que tu sèmes.

Avec toute ma gratitude,et ma tendresse,


Sandie COLAS




 
 
 

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