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  • Photo du rédacteurCretté Alexandra

Lettre d’un enfant blessé à sa mère, un texte de JJJJ Rolph.

Dernière mise à jour : 4 mai 2021



A ma Mère, pour notre anniversaire



Je t’écris puisqu’il pleut sur la ville et je ne suis plus d’humeur à m’inventer des rêves. Je te mens chère maman, puisqu’il pleut fort souvent sur Cayenne. Tu sais bien à quel point l’enfant en moi a peur de la pluie. De toute sorte de pluies qui brûlent l’avenir. Hier encore, j’ai pensé à toi. Je le fais souvent pour vaincre la cruauté. Je refuse de grandir. Je demeure l’enfant accroché à tes bras. Cet enfant fragile, qui refuse d’être un homme pour affronter la vie.

Tu sais maman, ici sur Cayenne la vie marche vers toi et te casse la gueule. J’ai entendu les nouvelles, tendre femme. Les nouvelles d’Haïti sont un jardin d’horreur qui grandit sous nos yeux. Chez nous dans nos quartiers, même Dieu se barre de son propre village. Il était une fois un enfant blessé, qui racontait à sa mère les déboires de l’exil. C’est le livre que je n’aurai jamais eu le courage d’écrire. Maman, j’ai enfin appris qu’avoir ses papiers, une pièce d’identité, ça sert à quelque chose. Toi qui passais tes heures, à m’exiger de faire mes pièces d’identité. Je les ai eus enfin et personne ne me les a jamais demandées. D’ailleurs, je me disais souvent à quoi servent des pièces d’identités, puisque je suis physiquement présent ?

Les pièces à mon avis, c’était un truc de mort, quelque chose qu’on pose devant le cadavre. Or, entre moi et le trépas, personne ne peut dire que c’est une grande histoire d’amour. Maintenant, on me les demande à chaque instant, ces putains de papiers, et je ne les ai pas. Je prends la fuite quand je vois la police. Ici, dans cette drôle République de France, ils se font appeler la PAF man : ils osent s’inventer de jolis noms, dans ce foutu pays. On dit même que ce n’est pas un pays maman. Je n’y crois pas. Tu connais ton fils : incrédule pour le temps et l’éternité. Les autres, ils disent que c’est un département de France. Toi qui sais tout ma chérie, tu n’as jamais vu ça toi aussi, un département d’un pays, qui peut faire plus que trois fois notre petite île.

Pardonne ma folie, précieuse maman, je te raconte des bêtises. Ici dans ce grand pays blanc, faute de rien, on fait de la bêtise une histoire de valeur. Je ne devais pas t’offrir des histoires tristes, d’ailleurs. Toi seule sais me parler. Ici, là où mon cœur me porte, les choses se suivent et ne se ressemblent pas. Tu sais man, tous les Brésiliens ne savent pas jouer au foot comme on se l’imaginait. On dirait qu’ici, on ne les aime pas trop, comme on les adore chez nous. Le Brésil perd, les gens se tuent en Haïti. Tu te rappelles sûrement nos deux voisins, qui se sont pariés leurs femmes telle une vulgaire chose, lors d’une finale de la Copa America, entre le Brésil et l’Argentine.

Les gens de ce beau pays, là où le vent m’emporte, disent des trucs pas gentils à l’égard des Brésiliens. Tu vois maman, je suis coincé seul avec mon grand amour du Brésil et de Cuba. D’ailleurs trésor, personne n’aime personne ici. Surtout les étrangers. Et pire, en Guyane : aucun livre n’arrive à définir précisément la figure de l’étranger. Quand tu es un H, comme on nous nomme ici, tu souffres de deux handicaps, celui d’être à la fois étranger, doublé d’un autre titre de noblesse’’ Haïtien’’. On dit de nous toutes sortes de choses. Il n’y a il ne me semble pas, les Haïtiens. Mais l’Haïtien. Cela ne sous-entend pas que tout le monde nous déteste aussi. Entre nous, ce n’est pas encore la fin de nos guerres intestines.

Je me suis démerdé à avoir des amis, et qui par malheur sont pour la plupart « blancs ». On les appelle métro, moi qui avais cru que c’était un mot obsolète. Colon, colonie, métropole : malgré la radio qui se nomme ainsi, ce sont des mots rayés du dictionnaire haïtien. Nous ne nécessitons plus de tels mots, qui ne servent plus aujourd’hui à grande chose. Des amis haïtiens, pas beaucoup, nourrissent aussi des préjugés à l’endroit des Bushinengués et une méfiance du créole Guyanais. Le créole lui, s’en fout pas mal des amérindiens. Des Haïtiens. Des étrangers tout court. Ici dans cette vaste utopie, chacun invente à l’autre une histoire et des défauts. Rarement des qualités.

Les hommes sont trop vaniteux, pour laisser leur petite personne, jusqu’à prêter à quelqu’un d’autre une quelconque humanité. ‘’Un Guyanais’’ a même tenté de donner, à ce pauvre haïtien que je suis, une leçon d’indépendance et de créolisation. Lol. Je suis passé de grande gueule dans mon pays, à d’autres insultes plus terrifiantes. Puisque j’ai eu le malheur de traîner en ville, avec deux amis poètes français. Maman, une dame m’a traité de nègre de maison.

Les insultes changent de camps maintenant. Je lui ai dit tout simplement : « débrouille-toi madame pour résoudre ton problème avec la France, qui s’en fout pas mal de ton pays » Si tu veux lui dis-je gentiment, je t’aiderai. Car, nous autres Haïtiens en avons l’habitude. Mais pour l’instant, chez nous c’est fini avec ta métropole. On a d’autres pays tels que les USA, à foutre à la porte.

Finalement, on n’est pas si diffèrent que ça l’un de l’autre. Chez moi, on va plus vite à la course de la faim, de la laideur et de l’insécurité. Cependant, ici comme ailleurs, c’est une histoire de pont entre la richesse et la pauvreté, entre mon quartier Trente Pièces et la Route des Plages de Rémire Montjoly. Ici comme ailleurs, c’est toujours la race des pauvres, des déshérités qui subit la vie. Cette misère qui danse sur Port au Prince et ces pâtés de maison qui étranglent Cayenne. ‘’Cayenne mon tombeau’’ nous écrit Mouloud Akkouche dans son roman sur le bagne.

Un jour maman, tu seras fière de ton fils. Moi ton oiseau blessé. Je t’écrirai un livre. Dis ça à papa, il sera très content. Je ferai ce livre pour toi, pour nous. Pour notre anniversaire, chaque 28 avril. La preuve que nous deux ne font qu’un. Pour ce pauvre homme qui se vend pour manger son pain, cette dominicaine qui fait commerce de charme, à tous ces antillais à qui on rappelle chaque jour qu’ils ne sont pas chez eux. Une étincelle pour ce migrant haïtien qui devient ici un animal traqué. Pour ces femmes battues qui n’ont plus d’horizon. Pour ce garçon de Georgetown qui rêve chaque nuit d’un voyage sur la lune. Une épopée, pour ces vieux Sainte-Luciens, qui récoltent l’illusion à la place de l’or. Un vibrant poème pour cette vierge Guyane, cette toile d’amour que l’on tissera ensemble.




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