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  • Photo du rédacteurCretté Alexandra

Anthropocène, un poème d'Alexandra Cretté



1

*


Naissance hypertrophiée d’un monstre

quelque part,

sur une île paradisiaque au milieu d’un océan un homme hirsute caresse le sable

il regarde le Soleil

la Mer

Il croît en Dieu

il porte en lui d’innombrables noms

il en donne un à cette île qui s’appelle déjà

qui porte un nom flûté

un nom qui résonne dans le haut des palmes vertes et moirées du jus des vents de la saison des pluies


Il a déjà l’habitude de tout nommer

et de détruire toutes les langues

La plante de son pied est le sceau d’un nouvel âge terrestre

d’un nouvel ordre

d’une nouvelle terre

d’une nouvelle strate


Il ne sait rien de tout cela,

c’est un homme hirsute sur une plage blanche de sable corallien

il a - dans la petite baie - son bateau de bois

aux larges pans puants l’ancienne peur de la mort


Il est vivant

il n’a entendu aucune trompette sépulcrale

n’est tombé dans aucune langue de feu putride

il n’a vu aucun des chevaliers de l’Apocalypse


2

*


Le jardin du monde est ouvert,

largement

c’est une femme aux rondes cuisses ruisselantes

de vie d’arbres de plantes de fruits de graines de saveurs âcres sucrées ambrées musquées florales poivrées cannelées

de bêtes brunes et douces et de vers luisants dans l’ombre

d’ours pandas aux verts bambous

d’architectures d’insectes dans la nuit Amazone

des fruits flamboyants aux chairs fades

de pommes s’arrondissant sur les hauts flans des Andes

de maïs jaunes des plaines de Géorgie

de champs de fleurs mêlées jusqu’au bout de l’horizon

des lacs des pierriers des mornes des marais des plaines des isthmes des gouffres des péninsules

des roches couvertes de la vie des lichens

des nids des grandes frégates marines - les cieux

des tortues géantes et centenaires sous tous les océans

des pollens ébouriffés

Le jardin du monde est ouvert.




3

*



Loin des paisibles et tendres annamites phalloïdes

- dans le grouillant monde des hommes-

nous tombons dans le droit gosier

de l’Enfer de Dante

La malepeste à bubons

la variole gracile

dans un bruissement d’air

se sont déployées

- les merveilles

des miasmes invisibles

et incurables

Les corps dorés, cuivrés aux longs cheveux bruns et raides

tordus dans une danse de fièvre

les femmes aux seins hauts et coniques

gorgées du pus des infections malignes

arachnéennes de souffrance

les hommes nus

arrachés au sommeil de la mort par la flûte

assassine

cortège d’un Orphée sadique

pluie acide inconnue

venue d’un enfer inconnu

que rien ne peut arrêter

ni les prières

ni les sacrifices

ni les conversions

tous ces régimes de pacotille des hommes

cette armure de papier dont ils se parent

les enfants écumants terrés sous la précoce terreur

l’absence de sens

la vacuité de la mort

les monstres imaginés vivant sous leur propre peau



4

*



Et ainsi l’océan des conquêtes s’acheva

dans une lente danse de fin de carnaval

épuisée et sanguinaire

dans les tournis et les festoyantes odeurs

sur la crête couronnée infinie des atolls

partout où il s’était donné en spectacle

il mourra presque paisiblement


il ne revint que quelques chevauchées de siècles plus tard


et ce temps de repos fut un berceau d’argile

posé sur un nénuphar

les étoiles ondulèrent

et la nuit en devint plus noire et plus brillante




5


*

Tout ceci est le conte d’un monde suranné et fantasque

perdu à nos souvenirs et fermé à nos yeux

séparé de nous à jamais par la cataracte déferlante

des actes des prières des guerres

et des espérances


en un certain lieu au fond de nous mêmes

nous croyons toujours au Jardin Originel

au nid moussu et bleuté

nous pensons pouvoir le retrouver

d’ un acte juste

d’ une pensée bonne

par la tendresse

par l’effort

par le recueillement


il n’en est rien

nous ne toucherons plus jamais cette terre ancienne

que nous avons détruite

de nos renoncements


Nous feignons la crainte et le deuil

voilés de soies

masqués d’ébène

veinés de plomb


mais cela ne nous va aussi mal que l’incertitude





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