Face courbée. Demi courbée. Face cambrée et instable. Après la terre, la pluie. Le vent. Un mauvais vent entremêlé à la nudité des êtres. Un toit sans toi. Des piquets tremblent de froid, de peur et de crainte. Après la terre, la pluie, le vent. Mais toujours une vague de sang. Un sombre tableau en trois dimensions. Ah la terre! Elle supporte, elle écorche. Elle ne résonne point. Elle attaque. Mieux que les débiles humains qui font chanter le sang. Pays relève toi, à l'instant où ce rouge ne caillote pas encore , le soleil fléchera vents et pluies...
Face courbée. Face contre terre. Mais la terre est haute, démembrée et violente comme un cheval tressé de feu. Partout autour se travaillent d'innombrables complots. Fétus d'orgueil en traverse, farine de politicards, rut de la violence urbaine, chemins d'attentats et de kidnapping. Au milieu de tout ce qui croule: toutes ces mains qui se tendent pour survivre. Un cri pour toucher une autre main humaine et reconstruire le monde. Sans peur d'y perdre son fils ou sa raison. Sans peur des mers folles et de l'ouverture de gouffres sans fonds. Combien de vers en offrande pour sauver la face de l'île qui chante?
Face courbée. Face contre cœur. Face contre lune. La terre se lève de l'autre côté de la rue. Une rue qui en reste une par ce qu'une femme a ri. Une terre qui n'est terre que de sang. Face contre ville. Face contre nuit. Des averses de pluies écorchent mon silence. Moi écorché vivant. Pays qui cherche une tête à héberger chaque nuit. Face contre vent. Dos contre mer. Jérémie. Corail. Lazile. Roseaux. Les Cayes. Pestel. Des enfants sonnent les cloches de la vie. Personne n'y répond. Sauf les décombres. Des yeux anéantis. Comment répondre à l'enfant qui a perdu ses bras ? Des bras qui ne sont bras qu'à compter les étoiles. Face contre moi. Dos contre mur. Mon ombre se joue de mes folies. Toutes les villes qui se meurent méritent une chanson pour les bras de l'enfant. Cet enfant qui a besoin de phare pour repeindre les arbres.
Face courbée. Face sans échine. Face en lambeaux. Scène d'exhibition d'un cadavre envahit par une nuée de sauterelles draculéennes. Face contre poing. Raz-de-marée d'une horde de vautours qui rôdent autour d'une kyrielle de plaies béantes. Sur des visages non-immatriculés, une coulée de larmes ternes, à la cadence des pas perdus, zigzague au milieu du dépôt de cailloux d'une pluie de poussières aveuglantes. Brouillard apocalyptique dessinant l'horizon glacial de ce petit rocher instable. -Éclipsés - loin du parfum matinal qu'apporte le vent du canal, chasse-gardée des rayons d'un soleil fidèle, ces millions de corps ne sont plus ceux qui furent bercés par le feu des camps d'été. Dans un aller-retour des paupières cousues définitivement par une couche de cire d'un sommeil mortifère, ils deviennent les proies d'un essaim de recycleurs ambulants. C'est ainsi, ici ( ce lieu macabre - ce moment d'arrêt qui a transformé un saut d'eau en marre d'urine). Ci-gît la douce queneppe qui s'en est allée pour ne plus revenir...
Face courbée. Face contre. Contre qui devons-nous pleurer nos tourments? La terre se malaxe dans une colère de jugement. Est-ce le châtiment, la faute de nos Aïeux? Boyokio, haute terre montagneuse. Épargne nous ta tension. Le combo est mal utilisé, nous l'avons laissé tomber sous nos pieds. Les plaques sont vibrantes pour nous équilibrer. Trop de sang, trop de Anmwey, de cris. L'amertume est noire sous nos yeux. Face a terre, tête blessée, on se prosterne à tes pieds. Plaque flottante donne nous l'incarnation de ton pardon. Et les enfants se démaquilleront dans le fleuve du sang stagné. Laisse nous ta joie comme la senteur d'un albâtre exhalé. Face baisée. Face à terre. Nous voici à tes pieds, mère d’Haïti.
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