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  • Photo du rédacteurCretté Alexandra

Sophia - un poème de Daniel Pujol, extrait de son recueil Version - photographie de M. Ursulet

I.

De face de profil

(au fond d’un commissariat céleste)

dans manteau de craintif sublunaire

chapeau fuyant et servitudes

apprêté pour paraître

caché sous son heure

… l’Homme

de face de profil

de travers

il chante

Mais quoi ?

Les nuages cacheront toujours

les tourterelles

Aux carrefours givrés

les tarots nous épuisent

Les couteaux dans les îles tombent les bœufs

dieux abasourdis

L’ineptie du jeu des marins avec la terre

multiplie miraculeusement les chances du charme

De face de profil

à ses chevilles s’abattent

les cartes vulnérables

Sur fond de paysages estampillés

moroses

Sur fond de filles vertes qui râlent

à l’heure des béliers

Sur fond d’homme de face de profil

monnaie qu’évalue la ruine des dynasties

… l’Homme

Ruche asservie, marché des sommeils et des glaces

… l’Homme

De face de profil

Tête couverte entre trottoir et ciel

Manteau gris que l’on porte dans les villes

byzantin tout de même un peu voleur

journal dans la bouche

chevaux de courses pour ses rêves

… l’Homme

Il attend son travail son épouse

ses maladies entre ciel et terre

les statistiques de sa disparition

pour causes incurables

élèvent sa nouvelle prière

Regardez vue d’en bas

Son élégance mesure ses trahisons

Son cou

icônes de mon enfance

sa gorge déjà en bois

tendue vers le ciel nébuleux

Femmes capricieuses qui priez

têtes captives

fichus noirs de femmes mariées

tresses de jeunes filles

Femmes qui priez

femmes capricieuses

joue contre joue dans les églises

Femmes qui répandent le bruit

Toit durable des maisons

feu sûr entre les briques rouges du foyer

Du pigeonnier les messages

du pigeonnier du clocher des champs

du chandelier

Femmes gentilles capricieuses femmes qui priez

priez pour moi la face vénérable de l’homme

De face de profil

il a mangé son pain

bu son vin

Sa demeure vendue

son épouse est un cygne

Les cygnes

l’homme les aperçoit

dans la lueur de sa colère

« Des hommes pas des destructeurs »

Ezra Pound

Cinq ans dans une cage

haute trahison

De face de profil Pound silencieux

Cinq ans dans une cage

pour un homme c’est très long

Pour un dieu ?

II.

… ruine des royaumes

n’a plus l’homme de demeure

ni enclos

ni source

ni fontaine

… n’a l’homme de lit ni de parole

son effroi gagné

… n’a plus l’homme de reine

de royaume

… n’a plus la femme d’homme

ni raison d’être

… n’ont plus champs mers arbres

raison d’être

… liquidées les dynasties

… amours

envolés dans les plaintes

… le sang ne franchit plus les blessures

ne franchissent plus les mots

l’âtre de ce monde

Bargemon dans la montagne

Dona Inès règne

main sûre

main chétive

main certaine des Villanova

Sophia à mon bras

noces d'une saison où chaque homme

dénombre ses richesses

flancs de Sophia

Au creux des moissons

s'étend le règne du hibou

Capricieuse détournée des ravines

fruits suspendus à tes rêves

plein les bras de ce monde

Hibou de Minerve dans le secret des bois

Ta couche temple

aux échos redoutables

le vent fils unique du pays des morts

y mène ses loups

Sophia

vol dévasté

lumière qui baisse

labyrinthe des vierges

Sophia

tes yeux à la brisure des astres

tes yeux delta pour la rage des monstres

Sophia

trois troupeaux ce matin ont déjà tressailli

le lait dans la lumière de tes seins a caillé

Sophia

vendue belle au triomphe des frênes

Sophia

hibou en colère de Minerve

Par ton vol tu maudis trois générations d'anges

Sophia

vendue aux armées étrangères

à la troupe impudente des souillons du commerce

Minerve en émoi

… ruine les dynasties et les perd

… souille les peuples qui l'acceptent

… abaisse les hommes de science

tord l'enfant dans le sein de sa mère

Par Sophia vendue

n'a l'homme de temple

Par Sophia vendue

n'a l'ange de sentier ni d'écho parmi nous

Par Sophia vendue

n'a plus la mer de vagues

ni la maison de pierres pour le seuil

ni d'assises le songe des armes

Par Sophia vendue

l'enfant n'a plus terre de prince

(le prince qui trottine au réveil dans sa tête)

les géomètres manquent de nombre à leur guise

n'ont plus les hommes d'honneur sur leur visage

ni de routes à leurs pas

n'ont plus les hommes ciel terre

villes vomies dans les comptoirs des commerces hideux

dans les banques l'or est purulence

n'est plus l'ordre une marque

au front des magistrats

… sur les baies qui nourrissent les saints

… sur les tours qui bénissent les villes

… sur le rire des femmes

Vol trahi

miroirs brisés

saintes clouées sur le bois des parloirs

les voiliers perdent leur souffle dans le sillon des soirs

digues qui ne séparent plus

rivages et amertume des voyages

Hibou en chasse

Minerve tuée

brisé le socle où la garde se tient

blessé l'homme au sein de son armée

volé son cheval à l'entrée de la ville

(Un prince sans cheval est une ombre qui mendie)

Venez ce soir dans ma prison Madame

… aux ailes d'ange sous les griffes

manteau de Minerve …

(abreuve-moi hibou à cette fête

j'attends ancré à tes reins)

III.

A Bargemon dans la montagne

j'ai tenu Sophia dans mes bras

Dans la charité des insectes

l'été luit

et vertical le soleil

à ses évidences

Son arc couvrant le ruisseau

un pont nous a permis

de nous étreindre

Eau sourde des plaines

dans l'appel sans écho

je me suis retourné pour boire

Dona Inès m'a dit

son fils m'a dit

Manuel de Villanova

maître des vignes et des forêts

Le fusil a pesé vers la terre

dans la main de l'homme

Sophia dans ma main

figée

flamme d'une salamandre

dans mes bras

sève du frêne

Au soleil étendue

ma tête sur son ventre balance d'exil

hanche sûre dans mes nuits

hanche sûre

journée de colombes

soirée de léopards

nuit de licornes

… bénie la Delphes

de Provence

fauves alignés

lumière pieuse

Oiseaux peints par Braque

Le guet amoureux tue le doute

Ventre de Sophia docile dans l'éclaircie oblique

"Que Dieu vous aie en sa très sainte et digne garde"

Dona Inès de Villanova

Nous buvions sous le jeu des oiseaux

indéchiffrables

IV.

Il n'y a que soleil

Uccello

source certaine

tremblant oiseau agonisant

marine

sème le vent

marbres et

mythe

… détournée en

quatre lignages

de quatre lunes soudaine procession

noces

… sur les berges

… au détour

quarantaine imposée aux cités de la mer

sur la lèpre des murs les édits désignent

les lieux de rassemblement

ils sont aux points cardinaux

que nulle rose n'impose

et dont nul règne ne saurait prendre ombrage

Pourtant de ces lettres

… détournée

pour joncher le sol de cadavres

que les greniers soient vides

effacée toute trace de noblesse

enfants ne portent plus

étoiles à leurs fronts

Rougeur des crépuscules

naissance maudite refusée

Cantilène de prieurs

n'est pas maudit le vin nouveau

Navire archipel d'épousailles

fatigué de miracles

Arioste des aventures blanches n'est pas venu

Entailles de lueurs sur les nuages

de Provence

promesse récitée aux ravins

Ne vends pas le monde

Sophia crépusculaire

dans la pluie sans nuance

séparant la route des prieurs

sur la partition des hirondelles



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