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  • Photo du rédacteurCretté Alexandra

Que reste-t-il ? - un texte de Westevenson Clovis


On est entre le jour et la nuit. Une chaleur crépusculaire crame, les bandes à pied

envahissent le quartier. C’est un temps de frisquet où tout est calme et beau. Un cri

sillonne, puis un vent traverse l’horizon: du nord au sud, mais qu’importe. Ce vent

emporte une folie de dernière saison, le temps nous a fourni une déroute de la

mélisse. Et la rue devient la place des sans-place, une urgence à constituer une histoire

de la pauvreté par un refuge. Quel vent bouleversant ! Il me parle au-delà du temps, aux

creux des utopies qu’il héberge, à la fois fort et précaire. Il est une partition qu’on

fredonne pour aborder les derniers jours de l’année, cependant malgré les océans, les

montagnes, les prairies, les ravins, les forêts, les villes, les rues qui nous séparent de

cette fin d’année…jamais définitivement le genre humain n’a été.


De là, je te le dis. Et la vérité de l’audace n’est point utile. Pour le genre humain, ce

vent n’a pas d’âge ni de lieu. Il coule comme une rivière sans rive droite ni gauche. Et la

vie à donner ne connaît pas d’embouchure. Ainsi, à moi citoyen, viennent les murmures.

Et la morale et le cri des pauvres, des laissés-pour-compte et des disqualifiés. Ce sont

les cris que le vent dessine, écartèle. Des privations, et autres modes de vie qui nous

serrent à la gorge. Y a-t-il urgence de réunir les petits écoliers dans tous les coins de la

Place Bouteille? Là-bas débarquent ceux qui prétendent être à la mode pour affronter la

place dame. Comment décrire cette ville triangulaire? Sans Boirond ni Tonnerre; Place

dame, sans Mémorial vrai pour dire vive l’indépendance… mais quelle prison nous dit-

elle? Ce vent n’est tout simplement pas le reflet de notre temps. Si je t’en parle, je ne fais

que te parler de l’époque qui donne naissance à la plus grande famine jamais constatée

sur la terre: la pensée de l’homme. Un coup des coups. Un coup de vent qui n'emporte

pas la Rosée du matin. Crois-tu? Quel vent dira le reste?


La torture des corps fait écho à la souffrance des âmes. Les corps et les cœurs ont

faim d’humanité. Là il y a tout: pauvreté, errances, dictatures, et guerres. Mais de là tout

bafoue la dignité des milliards de femmes et d’hommes… Combien peut subsister de

tout cela? Est-ce la solitude, l’individualisme, la misère morale, le manque d’amour? Voilà

ce que le vent « rayonne ». Eh bien voici déjà notre rongeur. Y a-t-il urgence de tracer la

voie? Mais laquelle? Mais où commence-t-elle? Avec les Perdus ou découragés ou

contre/malgré eux? Comment être une femme, comment être un homme aujourd’hui ? Le

vent trimballe, résonne à l’horizon mais rien ne survient. De là, on entend le son d’une

trompette. Tout est doux. Tout est beau comme dans le Patmos de Jean. Tu te crois

dans l’apocalypse. Mais tout vent est pareil au son de la trompette. Quel temps ou quel

vent ne porte pas cette cadence? Moi je ne vois pas une île, mais j’entends des

trébuchements… quelle indolence d’essayer d’inventer des rêveries et des fictions dans

un gouffre kafkaïen ou peut-être camusien... Sans souci de s’en défaire, un récit

s’écroule comme une rivière, mais où est l’histoire? Aucun vent n'est porteur d'histoire,

voilà le défaut des courants. Donc, un air subsiste. Et de cet air, moi je suis, perdu et/ou

conscient. Ainsi ou de ce lieu-là, j’invite à lancer ce cri d’alarme. Nous, des perdus et des

fauchés… Sommes-nous? Mais combien sommes-nous? Combien sommes-nous à

sentir ce vent en cette ère du nouvel an?


Et qu’on le dessine ou pas ce vent prendra la saison prochaine comme sienne.

Puis, elle va exister selon lui. Et nous alors puis nous contre elle, peut-être. Y a-t-il une

urgence? Derrière le bruit d’embarque, on voit René Philoctète qui planque son urgence

à l’entrée de sa chambre : « J’aurais pu par ma voix étoiler des nuits pâles entretenir le

vin des délices aveugles bâtir un pays rose où des femmes de gemme lissent leur

chevelure à l’encens de la lune.» Je ne parle pas d’ouvrir la porte quand les blancs en

mal du froid cherchent Gelé, ou Labadee tout en regardant Port-au-Prince dégagé son

parfum exotique. Oh! Port-au-Prince quel expat ne supporte plus le vent qui porte ton

nom? Mais bon! Le banditisme empêtre l’expat de jouir ce qui manque dans son pays.

Voilà une ironie que tout vent ne suppose pas. Quel blanc gagnera plus ici sous le vent

parce que le vent du Nord ne porte pas bonheur? Quel est cet être que le vent du Nord

ne soulèvera pas au rang « demik? » Pourquoi? Mais Jamais vent n’ait à dire le manque,

son manque à lui, le manque de la vielle. Le manque d’un moi, mon manque c’est un

vent de Bordeaux quand Bordeaux ne rappelle que l’esclavage. C’est un vent qui me parle

de Boisrond Tonnerre dans une ville sans tonnerre sur ses hommes, car les blancs

existent. Ce n’est pas loin de Pétion-Ville qui s’impose sur la petite montagne de l’Ouest.


Nous avec les blancs. Et puis y a-t-il le vent de Port-au-Prince qui entonne ses plus

beaux refrains et ses déroutes obscures. Nous avons chacun rêvé cette ville pour tout ce

qu’elle implique. Moi, elle reste un vent…Port-au-Prince, on ne peut pas ne pas penser à

une possibilité d’unir cité de l’éternel, de la liberté, de la fête du genre humain comme

Dessalines le voulait. Mais tout vers la saline, et Dessalines et le genre humain. Et

Martissant, puis Carrefour et ses feuilles, Gonaïves, enfin, toi ma terre d’amour, toi la

seule terre qui m’aies permis de trier moi parmi silence et la vie. Mais de toi, j’ai surmonté

mes heures et ton absence. J’ai survécu. C’est une insolite folie que celui qui vive loin de

sa ville. J’ai survécu. Et le vent du Nord ne me dit pas plus que moi je sais. Mais je me

bats à survivre. Dans ce vent que j’entends mais qui reste inaudible, je t’invite dans cette

campagne, toi ville, toi qui demeures mon autre moi. Je veux qu’on commence à dire le

vent de ce triangle: soukri, souvnans, badjo. Toi, tu sais comment tracer le vèvè. Moi,

j’ignore. Moi, dans le cri, le manque m'interpelle et non la demande. Car, nous allons

rencontrer cet alizé qui chuchote dans les petits buissons de « Pilboro ». Moi aussi, je

l’entends. Il nous a manqué comme la fleur manque au soleil au plus profond de l’hiver.


Y a-t-il urgence pour qu’il soit un grand vent d’amour et d’espoir? J’oublie souvent

de raconter le pire, cette année qui s’écroule. Le drame de la rivière Massacre, la voie

des fleurs nocturnes. Sous cette voie, l’espoir vacille dans l’enchevêtrement du temps ; la

misère et la pauvreté passées dans l’euphorie ; on entend au loin le chant des

gouverneurs ; qui sont les Manuel de fonds? Les bayahondes sourirent-elles à la

nouvelle saison? Mais la sécheresse se prosterne-elle devant la source intarissable? Et

ce vent est Nous. Pas vrai? NOUS des charpentiers, des Nous menuisiers, Nous des

remparts pour soigner l’embouchure ; tout au long du littoral, nous, les agriculteurs

disposent leurs épines pour saluer cette nouvelle lancée, nous, les gens de toutes les

confessions débarquent en sanglot… Et cette fois encore, nous lisons l’espoir sur le

visage des enfants : nous gouverneurs sur le tracé d’une aurore prometteuse. Nous

réclamons la force pour ne pas faucher parce que nos énergies se ressemblent. Arrête

ton sourire fautif me dit que Dener et Emmeline provoquent une émotion sur le coup

d’eau. Nous sommes le vent qui marche lentement dans les semences du grand nord.

Nous essayons de raconter cet entrelacement du passé et du présent, le cours de

l’histoire de ce peuple qui aime la vie ; une partition solfiée d’amour. Nous sommes un

long récital.


S’il faut ouvrir les yeux, c’est pour regarder cet enfant de la rue 0 qui danse avec

une joie débordante et insupportable parce que le pain rentrera à la maison. La nuit

respire, Rivière Massacre ? Mille choses à la fois. Non pas la torture, mais la célébration

de la vie. Les gens vogues sans bateaux ni pêches. C’est un événement à la hauteur de

notre histoire. Impensable et inconcevable ? Les faubourgs de Caracol regardent

bravement la citadelle Henry au coin de Milot. Quel vent pour réveiller Christophe de sa

tombe pour voir la complicité de ses dauphins ? Ce vent joue le camouflage des exilés

pour dire le chant de la vie. Ces jouisseurs qui regardent les Dominicains sur l’autre rive

avec les Kalachnikovs. Eux, ils ont tous les moyens. Nous : sans armes, sans porte

d'avion, sans bombes… Mais nous avons tout pour questionner la politique néolibérale.

Nous n'avons que ce chant d’amour et d’espoir. L’espoir de re-faire l’histoire. Nous

protestons contre la banalité du mal. Et le genre humain est notre feuille de route.

L’ambition est cette fois double quand on entend Jacques et Lyonel qui chuchote : la

belle amour humaine.


L’autre rive ? Entend-t-il le vent ? C’est le terrain d’entente des assassins de

l’espoir. Si je te parle des assassins, je ne fais que te parler des figures de proues de

FMI, BM et tous les acolytes des institutions de Bretton-Woods. Et il y a aussi les savants

qui parlent de la révolution agricole. Que sais-je ? J’allais oublier les bourreaux de chez

nous qui sont indécis. Devant eux, il y a leurs amis de l’autre côté de la mer et tout près

d’eux, il y a nous qui sommes prêts à bousculer toutes les barrières. Ils sont là,

abasourdis dans le silence. Le vent rayonne, nous les regardons, nous rigolons. Les

musiciens frappent le tambour, nous re-faisons la ronde pour danser sur un rite salvateur

la danse de la libération. À Ouanaminthe, c’est là qu’on voit l’autre face de la mer et

entend le bruit des pas du peuple des Terres Mêlées. Je dois te dire que la rivière

Massacre est le reflet du vent qui souffle. Il y en aura d’autres, ne t’en doute même pas.

Soudain, j’ouvre la porte d’entrée du palais des 365 portes et j’entends le bruit de la

concierge qui m’accueille chaleureusement. Je traîne avec les ancêtres dans le jardin

pour cueillir de fleurs en fleurs des légumes afin d’offrir un bon lalo artibonitien. Nous

avons soif de toutes les eaux du pays, mais la rivière Laquinte nous a coupés la soif. On

n’aurait jamais cru que cette eau a toute cette magnificence. Et le vent poursuit son

itinéraire fracturé, il sillonne dans le champ de canne-à-sucre à Léogane. Je l’entends et

je prends une gorgée de bois-cochon. Quelle main faudrait-il pour prolonger ma soif?


Cette fin d’année est révélatrice et entonne tout : des promesses, des vœux

d’amour, des aléas, des douces déroutes et toutes les folies que ce monde violent nous a

volés. Il y a de beaux sourires sur le visage des enfants qui attendent la non-venue du

père noël : pure illusion. Pour les enfants de rue, je l’ignore. Que dit le vent ? On aurait

au moins sourire à la vie pour rythmer le temps. Ce seraient des promesses de l’aube.

Mais notre époque nous prive de cette passion de fin d’année. Tu pourrais peut-être te

dire de quoi je parle ? C’est maintenant que je te ferais un récit. Nous avons chacun rêvé

de ce retour. Mais la réalité nous joue de ses tours. Cette fois, je ne te parle pas de ceux

qui sont partis. Je veux te parler de LAS, Révérence, Été en Hiver, Black is beautiful,

Exode qui chantent nos montagnes, nos plaines, le fleuve de l’Artibonite, nos rivières,

nos sites et toutes nos ressources. Ils chantent nos détours et la puissance de notre terre

de liberté. Ces chansons sont comme ce vent bouleversant. Elles accompagnent tous les

voyageurs solitaires. Je me suis demandé pourquoi ce vent a mis tout ce temps pour

bouleverser les montagnes. Je l’imagine séduisant. Sa façon de tendre la rosée à la

savane de l’espoir est inimaginable. On ne voyait pas les choses aussi passionnantes

avant.


L’autre évènement qui nous a basculé au plus profond c’est bien sûr le départ de

nos frères et sœurs dans tous les coins de la planète. Ils pensent à tous ces chemins

parcourus pour fuir le pays, mais toujours est-il que nous ne savons pas ce que nous

voulons. Tu pourrais chanter notre tristesse. À coup sûr, tu aurais raison. Mais je dois te

dire qu’on a fêté Gede sous la pluie. Près de la rue Clervaux, une dame fait son

apparition avec du café chaud. Un vieux père savane lance le rorroli. Rien ni personne

ne pouvait nous arrêter. La candeur des tambours a frappé la foule, et le nom des lois les

plus aimées nous frappent le tympan. Comment ne pas te dire que nous croyons encore

dans nos mythes et nos valeurs ? L’espoir existe encore dans nos futiles folies. On a

connu pourtant des situations angoissantes. Mais ces folies si bien enfuies en nous, nous

ont sauvées de la pénombre. Pour dire la beauté de la vie, on attend ce vent d’espoir qui

tend à basculer les difficultés de l’existence. On doit penser cette vie pour les pauvres en

dehors des schèmes qu’ils nous ont imposés. C’est à ce moment qu’on pourra chanter la

vie à son point culminant. Et l’on pourra penser à une bonne année pour le monde. Ce

monde que je te parle ne pourrait être possible sans les hommes : le genre humain.


Si je te parle des hommes, je ne fais que parler de tous ceux qui ont trébuché dans

le droit chemin et qui croient encore à l’aurore d’un jour meilleur. Je te parle aussi de nos

détours. De nos aléas. Je te parle de ceux qui sont broyés par le dispositif. Ceux qui

reçoivent un appel mais qui ne peuvent pas répondre. En écoutant le poète, je vois

Agamben et Foucault qui me regardent avec du café chaud. Près de la petite

bibliothèque se trouve Camus avec sa cigarette. Je te parle des hommes qui sont perdus

dans l’hors-norme qui cherchent à contourner les normes imposées par le dispositif.

C’est là que Canguilhem frappe à la porte avec son cri d’amour : « Il ne peut rien

manquer à un vivant si l’on veut bien admettre qu’il y a mille et une façons de vivre.»

Cette fois, il est aussi proche de De Certeau et de Foucault : leur feu de position éclaire

la nuit. Des hommes normatifs qui créent des brèches. J’entends la voix maladive et

déchirante de Davertige qui crée encore sa ville afin d’inviter Phelps à diner chez lui.


J’entends le bruit des sandales d'Alexis avec sa phrase rythmée par la saison : ce

monde est la rencontre de tous les hommes. Sûrement il parle de ceux qui sont battus,

humiliés et rudoyés. Mais on doit exclure les assassins de l’espoir. Le voyage ne change

pas. Voici Yanick avec ses yeux blindés par la saison qui regarde la couleur de l’aube

Sous cette terre brulée, tout est en branle. Le vent bouleversant crame les épines

de la douleur. Avec une large compétition, il contourne les jardins. Nous avons chacun

rêvé de ce vent. Maintenant, les silhouettes deviennent redoutables. Nos conditions

imposent des détours. Nous devenons assistants de notre décadence et de nos

errances. Nous attendons l’arrivée du vent pour chanter « Ati sole » dans toutes les

combites où le simidor donne sa plus belle mélodie. On chante notre Haïti chérie, la terre

de nos errances et des petites folies d’amour. Je déambule sur la Seine comme pour ne

pas sombrer dans la dépression. J’observe le fond de l’eau qui coule, l’image de nos

rivières passe ses nuits dans mon esprit. Tout m’a quitté sauf ce pays qui crame au plus

profond de mon être. Cette mémoire laisse entrevoir un cauchemar inexorable. En

trébuchant sur la Seine, je me lance aveuglement dans le RER pour faire la

correspondance à la ligne 14. Je descends à Bercy pour enfin balbutier sur René

Depestre à l’évocation de son titre adoré : Au rendez-vous de la vie. Je lève la tête pour

le regarder. C’est là que je trouve la force affronter le reste du temps.




Westevenson Clovis



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