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Photo du rédacteurCretté Alexandra

Mon îlot trésor de Jonas Charlecin, prix du jeune écrivain guyanais 2022, catégorie Nouvelle

« Votre texte présentera une description précise de votre milieu naturel ainsi que les premières heures qui animent votre journée. »

Tous les élèves étaient ballottés par une vague de panique, moi, confiant en mon immense source d’inspiration, j’accueillais ce devoir de rédaction avec zénitude et aménité. Je vais rendre ce devoir. Tenir ma parole, je n’ai pas de qualité plus grande ! Même s’il est vrai que pour nourrir mes compagnons à quatre pattes, je dois fournir des efforts. Il faut que j’arrête vraiment d’ingurgiter à mon chien des crottes de Regina, contenant oignon, fromage… tout ce que mon voisin aspirant vétérinaire a horreur d’entendre quand j’en fais l’exposé.

Le coq a chanté quatre heures du matin, j’étais déjà débout. Le somme n’avait plus aucune domination sur mes paupières après ma douche glaciale, en parfait nudiste, à la source de Baduel. Les dames passaient là. Moi j’étais de ce calme inerte qui me caractérise tant.

Visiblement, on ne fit pas grand cas de ma personne dévoilée qui prenait ce bain au petit matin. C’est un grand classique ici, on n’a pas froid aux yeux.

Bien qu’on s’approche vers un été à vive allure, la pluie, elle, avait décidée de donner encore de belles marques de sa générosité. Elle arrosait nos habitacles recyclés de ses dernières gouttes sur nos tôles fleurissantes, partiellement trouées. La populace ingénieuse réagissait efficacement à cette dégradation par l’utilisation abondante de mastic ou surcouche de tôles et de bâches. Avant de venir à la source ce matin, je prenais un plaisir absolu à entendre son susurrement sur les tôles ébréchées jusqu’à ce que ma mère - réveillée comme toujours une heure avant moi- se mette à chanter un :

Même si les océans se déchaînent,

Je les traverserai avec toi,

Père tu domines les tempêtes.

Je suis tranquille car tu es là…

Interminable, tout en cuisinant le repas prévu pour ces nouvelles vingt-quatre heures de soleil d’enfer ou de pluie...torrentielle. S’agissant du repas du matin, du midi et du soir ! L’abondance pluviale en ce début du mois de juillet, favorisait le remplissage de nos bassines, palliant ainsi le manque d’approvisionnement en eau potable dans le seul puits que la mairie nous ait fait don pour faire bonne figure et devoir samaritain. Ce don remplit assez mal l’objectif débonnaire qui lui est exigé, car on est plus de quarante mille habitants dans ce qu’on appelle par dégoût un «squat » - ou bidonville pour être dans le terme choisi par les lexicographes. Il est par conséquent difficile de trouver de l’eau pour toutes nos timbales. Voilà pourquoi la pluie est une denrée sacrée ici pour nourrir nos récipients et nous mettre à l’abri de la pénurie en vigueur une semaine par mois.

Moi, ce qui peut paraître étrange aux gens normaux, c’est qu’au milieu de ces tas de tôles et cette infortune crasse, je ne peux néanmoins qu’admirer avec mes yeux, anormaux du coup, l’émanation d’une vapeur de poésie inouïe… mon Dieu ! Je prends tous les matins un plaisir et un bonheur complets à contempler la vie qui se lève au même rythme que la brume et la rosée. Le chant de ma mère qui s’évapore en baignant ces tôles cosmopolites d’eaux célestes. C’est d’une beauté époustouflante. Resplendissante. D’une élégance incomparable.

Six heures du matin. Aujourd’hui, je vais à la poste, selon la nouvelle règle en vigueur pour obtenir ma carte d’horizon. Je dois procéder à un envoi postal de mes pièces justificatives afin d’espérer un rendez-vous pour l’analyse de mon dossier, sans quoi on risque de m’expulser. Mes activités quotidiennes sont plutôt routinières car elles se résument en seulement trois mots : Préparer mon avenir ! Ainsi, mes démarches administratives s’érigeaient en tête de liste et trouvaient légitimement leur place dans cet impératif. En sortant, je prends part au réveil de la vie. Je ne manque pas d’assister non plus à l’organisation mécanique qui s’opère dans l’entraide à l’amarrage du parasol de Mamie Clénine pour ouvrir son business de tablettes pistache et de bonbon-sirop. C’est aussi l’entrée et sortie des chauffeurs de taxis, appelés ici « les clandestins », mystique appellation. Je vous l’accorde. En fait, par différenciation d’avec ceux qui sont « légaux », portant la pancarte TAXI sur leur véhicule. Je dois dire que ceux-là, justifient leur conduite déréglée par un injonctif que leur condition de vie étaye aisément : « Il faut bien nourrir ses gosses quand on est un laissé pour compte ».

Ici, le point de vue est très relatif. De là, afin de garantir une compréhension des réalités du domaine sans jugements stéréotypés : l’oublie à l’entrée du site de tous préjugés ethnocentriques est soucieusement recommandé ! Je me suis fait conduire par mon père à la poste qui allait à son gagne bifteck. Ce matin, peu de curiosités. C’est moins riche en poésie que mon domicile. Néanmoins, j’y trouve un ami de la fac très amusant. En effet, il dit avoir le don exclusif de parler toutes les langues terrestres – encore heureux qu’il ne s’agit pas des langues célestes. Il donne aussi bon créole guyanais que guadeloupéen, que martiniquais mais jamais du sien propre. Il chantonne même « señorita mi amor » pour une brésilienne qu’il avait décidé être espagnole et qui ne pouvait que le comprendre par conséquent. Lesquels mots avait-il volés sans doute dans les cannes à sucre de la République Dominicaine.Ma mission pour ce matin est accomplie. Celle d’expédier la lettre. Maintenant la question se pose de savoir comment rentrerai- je chez moi : appeler mon père ? Le soleil indique dix heures donc sans doute il n’a pas encore fini de tondre les jardins des prestigieux

propriétaires de la Rue Les Amants Fous de la commune toujours jolie.

Je me tue de rire parfois quand je considère que le vieux nettoie de magnifiques piscines, sait à la lettre comment entretenir un jardin, comment faire pousser la fleur du paradis, connaît exactement le désherbant pour réduire le développement des herbes sans les éradiquer : sans avoir le moindre diplôme en poche.

Il faut bien nourrir ses gosses quand on est un laissé pour compte !

Le bus était aussi une option, mais ce dernier est réputé pour faire le tour du département, et moi tout ce qui est d’ordre le-tour- du-département j’en évite – absence de ma carte d’horizon oblige- appeler mon ami ? Celui-là indubitablement doit être en train de roupiller sur un matelas crade dans mon petit paradis, par peur de représailles, sans carte d’horizon, sans permis comme moi. Ce ne sera pas lui mon Jésus.

Vient alors mon plan B, pour lequel j’opte toujours avec joie, comme à chaque fois que mon père tient bien son rôle dans la- grande-comédie-humaine, comme à chaque fois que je refuse de faire du tourisme tout-risque, comme à chaque fois que mon seul ami pour pallier sa solitude bat des records de somme au lieu d’aller braquer le chinois - pour éviter le déshonneur de sa mère, et par extension notre honte commune, il s’abstient de commettre ces délits de derniers recours ( ceux qui en commettent justifient aussi par le bien connu : « Il faut bien nourrir ses gosses quand on est un laissé pour compte » ).

Mon ami refuse aussi en disant que Yé , c’est-à-dire Nous, a déjà trop de « on dit » à porter. Je suis bien d’accord avec lui. D’ailleurs, c’est ce que je fais moi-même en tâchant de remettre mes devoirs à temps car il faut savoir que si mon voisin aspire à être vétérinaire uniquement pour sauver mes chiens de leurs intoxications, item j’ai l’ambition de peupler ce monde de poésies dans l’unique but

de nous pulvériser et nous guérir de nos préjugés.

N’ayant aucun sauveur, je me livre alors à la marche. Ah ! Qu’est-ce que j’aime marcher ! l’Arthur Rimbaud moderne, c’est moi. Le seul risque que je consentais à prendre vraiment : marcher. Quand bien même cela pourrait me porter préjudice et attirer les démons sur mon passage, sans ma carte d’horizon. Mais ceux qui me voient libre ainsi doivent se dire : « Un réfugié ne peut pas trouver prestigieux de prendre le loisir de randonner ainsi, au risque de donner sa peau, comme ça. Il faut être le dernier des sots !». Avec ça là, je me sens protégé contre toute attaque ! C’est alors que ce matin, je me livre à une grande marche. En mémoire de qui, je l’ignore. Mais me voilà qui flâne, qui voyage, qui décris, qui vis pleinement !...

Alors que la vue du paysage m’inocule davantage l’envie de bavarder pour m’évader. Je me rends compte avec effarement que l’on arrive à la fin de ce récit Excellent professeur. Parce que mon stylo n’a plus d’encre et mon cahier n’a plus de place. Mais parole d’élève sérieux. Bien vite, je reviendrais pour vous en servir sur un gâteau de bonbon-sirop ou de pistaches tablettes l’odeur et la saveur de cannelle et de piment qui parfument mon îlot trésor.




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