top of page
Rechercher
Photo du rédacteurCretté Alexandra

Lettre à mon amie Andrea - de Sandie Colas

Il était dix-sept heures et demie. Je fouinais encore dans ce lieu-dit « l'éternité ». Je suivais avec frayeur les grincements de dents, les cris silencieux et la voix sombre d'Emily Dickinson. En quête de réponses, je me noyais dans ce cocktail, ce mélange d'énigmes et d'incompris.

Trop fort, ça m'étrangle. Mais je lève quand même mon dernier verre à MJ. Ce génie littéraire à qui j'avais dit tantôt d'un ton moqueur qu'il m'avait offert un cercueil, tant ce recueil est un tombeau où se décompose la mort.

J'ai eu tort. Je me corrige. Il m'a offert un livre alarme pour me rappeler à quel point la vie est courte. Et qu’en connaissance de cette vérité, je dois en profiter chaque seconde et surtout partager le plus possible de mon temps, de mon amour, de mon amitié, de ma joie de vivre avec mes proches. Et comme le dit Jacques Roumain dans son magistral Gouverneur de la Rosée par la bouche délirante de Délira : « Nous mourrons tous : les bêtes, les plantes, les chrétiens vivants » Alors saoulée d’Emily Dickinson et de Jacques Roumain : je lève mon verre à la vie !

Et puis quelle idée serait-ce de ne pas vivre tous les jours ? Pourquoi ne pas rendre immortel ne serait-ce qu'une partie de soi ?

Délirons un peu : et si on s'aimait inconditionnellement ? Je veux dire : comme un arbre fruitier qui donne du fruit en sa saison, qui s'en fiche royalement si ses fruits n'ont pas été désirés, s'ils resteront abîmer au sol sans que personne ne les regarde. L'arbre fruitier fait ce qu'il doit faire, ni plus ni moins. Sans jamais rien demander, sans jamais rien attendre en retour.

Trop d’élucubrations, ai-je trop bu ? Je me jette rudement sur mon lit et je me suis cognée contre mon oreiller. Même pas mal. L'espace d'un clin d'œil, je me retrouve déjà autre part, comme dans une autre vie. Est-ce ce lieu-dit « l'éternité » ?

Non, je connais cet endroit, j'ai vécu dans cet endroit, c'est ma « cité de la paix » dit-on pour dissimuler et conjurer la guerre qui avait fait de ce quartier sa résidence secondaire. Je voltigeais, je sautais pour m'échapper, comme un enfant qui jouait à la marelle. Je marchais sur des œufs comme le numéro 456 dans la série de « Squid game ».

Je sautais d'un autre pas et je me trouvais dans une autre cité, dite « cité la fuite ». Tel subterfuge pour fuir ce bourreau qu'est la vie. Enfin, cet endroit était parfait pour m'échapper à ces souvenirs ténébreux. Juste là, sous mes yeux, il y avait un dispensaire, je dirais plutôt une clinique, dite « clinique la délivrance » pour redonner espoir à ceux et celles à la recherche effrénée d’une main guérisseuse.

Il y avait dans cet endroit des étrangers, dite « des blancs » pour différencier leur couleur de peau d’avec celle « des noirs ». C’étaient des ophtalmos, des bénévoles, des apprentis-médecins. Il y avait nous aussi, le reste du monde « des malades, des employés et des admirateurs, qui sont malades de la maladie des blancs ». C’est bien connu ça, ici, on aime beaucoup les étrangers. Les blancs sont admirés, vénérés, adorés pour dire les choses crûment.

Je vivais ce moment en direct une fois de plus. Fatiguée de regarder ces missionnaires qui souriaient au reste du monde sans pouvoir communiquer, j'ai tourné les talons et là, je me retrouve en face d'elle. Dans sa blouse rose qui mettait en valeur ses yeux aux couleurs de l'infini du ciel. Elle avait l'air exténuée par cette chaleur intense, et moi, je la suivais du regard, à ce moment-là, j'ai eu l'impression de l'avoir déjà vu, de l'avoir déjà rencontré dans une autre vie. Ce qui est impossible, puisque je n'ai jamais été dans un pays étranger.

Elle a pris une bonne bouffée d'air frais avant de retourner à ses occupations. Elle rentrait à nouveau dans cette petite pièce au fond de la clinique, elle parcourait soigneusement les prescriptions, elle choisissait avec soin les verres correcteurs pour ses patients, tout comme quand je choisis avec délicatesse les vers libres pour mes poèmes. D'une main, elle donnait les lunettes, d'une autre main, elle donnait des bonbons, des jouets aux enfants qui la dévisageaient à travers la fenêtre.

Puis arrivait ce moment où elle cherchait son interprète comme on cherche une aiguille dans une botte de foin. Impossible pour elle de communiquer avec sa patiente, pour qui toutes les réponses à ses questions étaient « oui ».

Je suis intervenue et j’ai mis fin à cette barrière qui l'empêchait de continuer. Là, elle m'a vu, elle m'a souri, elle m'a félicité pour ses deux trois mots anglais que j’ai eus plus de mal que de bien à prononcer.

Il y eut tout à coup un bruit sourd, j'ai sursauté et mes yeux se sont ouverts, voyant le livre alarme allongée comme un cadavre sur le sol, j'ai su que c'était ce bruit qui m'a réveillé. En même temps, ce n'était pas vraiment un rêve, je revivais un passé lointain, j'ai remonté le temps, j'étais en deux mille douze et je venais de rencontrer Andrea Clyman.

Aujourd'hui, cela fait plus de dix ans et j'ai toujours eu cette impression. Celle de t'avoir connu bien avant de te rencontrer. Certainement, c'est ce qu'on ressent envers tout être qui arrive dans notre vie pour remplacer nos souvenirs ténébreux par des souvenirs radieux, pour empêcher notre bateau de couler aux accents des vagues.

Andy, tu es l'une des meilleures personnes que j'ai rencontrées sur cette planète. Tu m'as montré l'amour d'une mère, d'une meilleure amie, d'une sœur. Dès le matin, tu me rappelles à quel point je suis belle du dedans au-dehors, à quel point tu es fière de moi. Tu as toujours cru en moi, tu m'as donné des ailes pour voler haut, aussi haut que je le souhaite. Tu as su recoller les morceaux de cette vase brisée que j'étais. Même une infinité de mots ne suffiraient pas pour te remercier.

Je garde tellement précieux, les souvenirs que j'ai de nous, encore plus cette nuit à Pont-Sondé, dans cet hôtel où j'étais à la fois émue, excitée et légèrement étrangère parmi tous ces étrangers que tu m'avais présenté un à un, lesquels étaient pour le coup les véritables étrangers, car jusqu’à preuve du contraire, j’étais « chez moi ».

C'était la deuxième fois qu'on se voyait, je n'y croyais pas, c'était comme une téléréalité, tu me couvrais de cadeaux, de câlins. À vrai dire, les câlins étaient une marque d'affection dont j'ai été privé une fois que j'avais grandi.

Cette nuit-là, j'étais émerveillée, je me sentais comme Alice au pays des merveilles. Cette nuit-là, je n'ai pas pu fermer les yeux. Tu étais là, allongée sur ton lit qui se trouvait juste en face du mien, tu dormais et moi, je t'admirais, je me demandais ce que j'avais fait pour mériter une telle attention, venant d'une si bonne personne. Le temps passe, mais tu ne vieillis pas, tu restes jeune et belle. C'est la méchanceté qui rend les gens vieux et moches. Toi, tu n’as pas une ombre de méchanceté en toi.

On s'est revu encore une troisième fois, c'était tout aussi bien que les précédentes. J'ose espérer seulement que ce n'était pas la dernière fois. Il me tarde de te revoir Andy. Sache que je compte les kilomètres ainsi que les heures qui me séparent de nos retrouvailles.




148 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comentários


Post: Blog2_Post
bottom of page