Mon ami,
Cette nuit, j’ai encore fait ce rêve, celui qui n’est à chaque fois "ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre". Ce rêve dans lequel nous nous retrouvons à Labadie.
Dans ce rêve, le vent me soufflait des mots. Ils traversaient mon âme en s’inscrivant sur le sable blanc baigné par des eaux turquoises. Ces mots prenaient forme au fur et à mesure que les souvenirs de notre amitié défilaient devant mes yeux. Aussitôt j’ai voulu t’écrire. Mais je te ferai ici grâce des aléas qui m’en ont empêché.
Je pense souvent à toi. Je sais, par-delà les mots, que tu as gagné en sagesse et que la vie s’éclore en toi, en une pure extension. C’est l’aventure tant de fois promise que tu attendais depuis des lustres. Rien ne t’arrêtera, c’est certain. Le ciel est la limite.
Récemment j'ai regardé Fast and furious 9. Roman Pearce est l’acteur fanfaron qui me fait tant penser à toi. Toi qui m’embobinais tant de fois de tes hâbleries.
C’est triste de dire que je n’ai jamais mis un pied au cinéma Versailles. Je ne saurai le comparer à l’Agora, le grand complexe de cinéma de Guyane. Ici ils ont un bar de pop-corn, six salles de cinéma dont les deux plus grandes comptent chacune trois cent soixante quatre fauteuils. C’est époustouflant ! Mais revenons à toi.
J'ai vu quelque part une photo de notre promotion. Pour une raison que j’ignore, tu n’ étais pas dessus.
Mais je me souviens de chaque instant passé au CMLK. Tu étais le mec cool qui n’avait jamais eu d’embrouille, le mathématicien, le chimiste, le biologiste. D’ailleurs je me demandais s’il y avait un sujet que tu ne maîtrisais pas.
Comment pourrais-je oublier ! Tu faisais mes devoirs de maths et en retour je faisais tes devoirs d’anglais. J’étais assise à la deuxième rangée, juste derrière toi, silencieuse comme une tombe.
Je m’étais tellement effacée que moi-même je ne me voyais pas.
Je me rappelle tes potes, ta bande, vous étiez si proches. Vous ne manquiez jamais un débat. C’était soit le foot, soit les sciences ou toute autre chose. Vous étiez des génies dont les luthériens (ennes) de notre époque étaient fiers (ères). Je vous revois encore sur le balcon, devant le terminal Platon. J'ai appris que Seven7 ne peut plus y être, qu’une vague l’a emporté plus loin que l’horizon et qu’il a disparu dans les nuages blancs.
Aussi loin que je me souvienne, il était brillant, modeste et courtois. Un phœnix de la vie qui pour la plupart était un camarade mais pour toi, un frère. Un frère de cœur que tu as aimé plus qu'une idole.
Force à toi mon ami ! Toi qui as vu le sang couler à flot à la capitale, toi qui as vu des vies succomber aux balles perdues. Les cris de détresse font la une sur les réseaux sociaux. Il y a on dirait sur le pays un abattement qui ne dit pas son nom, un sifflement du vide et un arrachement que je ne puis nommer.
Ici, rien à signaler, à part qu’on est des immigrés. Ce n’est pas un néologisme. Nous sommes au bas de la liste, ceux qui font partie de ce livre qu’on juge trop souvent par sa couverture.
Mon ami, Je ne te parlerai pas de l’amour, ce sentiment que j’ai jeté dans un coin, au grenier. Ce
mont Everest que je n’arrive toujours pas à escalader. Je ne te parlerai pas de mes mésaventures.
La vie ne devrait être qu'un immense bonheur. On devrait être aussi léger que le souffle du vent, aussi rayonnant que le soleil levant. On devrait être cette plume virevoussant aux quatre coins des continents.
Mon ami,
Puissions-nous nous retrouver un jour quelque part,pour aller voguer ensemble sur la mer des Caraïbes.

Bravo Colas,je ne suis pas du genre littéraire mais j'adore ton texte. Je suis jalouse de ce ( tte ) Danove, un aussi beau texte,si profond. Encore bravo 👏.