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Photo du rédacteurCretté Alexandra

Lettre à ma mère - de Jonas Charlecin

Chère Maman, 


T’écrire est une obsession que je porte dans mon cœur comme un chagrin

d’amour. C’est une maladie qui ne cesse de grossir et d’affaiblir  mon essence.

Pourtant ce moment est synonyme de guérison. Or je m’entête à retarder celui-ci

comme un ignorant qui refuse la lumière de l’intelligence. Ce moment de t’écrire

pourrait me rétablir tout bonnement. Alors pourquoi attendre maman ? Serait-ce

parce que je n’ai rien à te dire ? Non. J’ai tant à te dire ma tendre mère ! Serait-ce la

distance qui nous aurait déshabitué à nos conciliabules  ?  Impossible. Je te parle

tous les jours comme un endeuillé qui s’adresse à la compresse qu’il porte sur son

front, lui demandant des “pourquoi et des comment” qui répondent niet. Si je te parle

maman, toi tu parleras.. et puis tu n’es pas du tout lourde à porter comme

compresse, ni affreuse. Tu es légère comme un vol de morpho. Te parler j’y arrive

car cela se fait en une note vocale WhatsApp et toujours les mêmes nouvelles 

« Oui, maman je vais bien.. bien dormi, bien réveillé… oui maman je respecte si ,

j’applique ça… bonne journée maman… bisous ! ». A cet exercice je m’en sors. Mais

t’écrire… comment faire ?


Maman,  pour clarifier le paradoxe, être loin de toi pèse des tonnes. Sur la

conscience et sur le moral cela cogne ! Alors te parler, me borner à des

automatismes m’épargne pas mal de phrases à construire. Mais j’écris. J’écris enfin

pour laisser une trace. J’écris enfin pour te dire plus que les ritournelles de

WhatsApp. T’écrire enfin pour respirer un autre air. T’écrire pour me libérer. Me livrer

à toi, ma confidente.

 

Si je ne t’ai pas écrit jusque-là, tu l’aurais deviné, c’est parce que je ne sais

pas comment te dire mes sentiments. Parfois j’ai envie de t'écrire pour te dire

combien je souffre atrocement de notre éloignement. Mais bien vite je pense aux

tourments qui en seront les tiens. Toi qui imagine ton fils dans un jardin de délices.

Toi qui a ton fils « lot bo dlo » en pays étranger. Comme n’a de cesse de te répéter

les voisinages. « Maman, je te raconte mes tourments », voilà là l’intitulé d’une lettre

que tu n’auras jamais à lire de moi. Alors je me tais. Je fais un volte-face comme ont

pour coutume les politiciens. Je continue à te faire de belles histoires. Je continue à

te faire de beaux portraits. Je continue à te dire que tout va bien. Alors que tout ne va

pas… bien loin. Et l’impression de n’aller nulle part dans ce pays est un sentiment qui

me consume. Je tourne en rond. Je fais des pirouettes – moi qui porte l’adjectif

« nul » en danse comme s’il a été taillé sur mesure pour ma personne par la langue

française, cette diable de couturière.


Pour autant ai-je  tort maman ? Mes histoires n’ont-elles pas leur part de

réalité ? Je te dis la vérité. Mes belles histoires ne sont pas inventées  de toutes

pièces. Et puis, je perds petit à petit le goût de ce récit lamentable et interminable qui

ne raconte que les affres de l’exil ! Comme si l’exil n’avait pas aussi ces moments de

gloires. Alors mettons un instant la chronique des « sales nouvelles » de côtés,

passons – bien qu’infirmes – aux délices de l’exil. Oui, dans cette lettre maman, je

vais continuer à te raconter la médaille de l’exil sans le revers. 


L’exil vaut le voyage, je ne sais de quoi parle ce livre de Dany – tout le monde

dit Dany, car c’est plus chic, Laferrière derrière.. on en veut pas. Dans mon sens,

l’exil vaut le voyage, cela s’entend comme joie joie et joie maman. Oui, maman l’exil

est aussi drôle. Tu le sais car je n’ai de cesse de te dire que ton fils est like this que

ton fils est like that. En terre d’exil, on fait plein de trucs marrants. En terre d’exil, on

rencontre plein d’individus géniaux. En terre d’exil, on fait de la musique. En terre

d’exil, on fait de la peinture. En terre d’exil, on fait de la poésie. En terre d’exil, en

terre d’exil…


Et surtout en terre d’exil, on se fait des amis pour la vie maman. Et cela c’est

aussi un moyen en plus de la littérature de vivre mille vies. Que  celui qu’on appelle

ami soit dans la joie ou dans la galère : on est appelé à vivre dans sa joie ou dans sa

galère. Ce n’est plus son problème. Ce n’est plus son bonheur. Mais notre problème.

Notre bonheur. Je ne précise pas que je parle des vrais amis maman, car ce serait

une tautologie ou encore une niaiserie de l’esprit, tu vas toi-même me le dire. Tu sais

bien que par définition un ami est vrai. Celui qui est ton ami et n’est pas vrai par

définition, cherche autres apostrophes à lui donner comme « Passant »,

« Étranger », « Quand-tout-va-bien », «  Pique-assiettes», « Charlatan ». Mais

jamais Ami. 


J’ai un ami qui sait dompter la peau raide et laide des calebasses pour en faire

des œuvres d’art. C’est impressionnant maman ! Il faut voir. Il se prend très au

sérieux en plus maman. Il organise même des Expositions. Il faut entendre

l’éloquence de ce mot. Je te laisse imaginer quand il sera suivi de Universelles. Des

Expositions Universelles. Avoue maman, cette appellation sonne vachement bien.

Pour le moment, beaucoup de personnes viennent le voir étaler ses merveilles

comme les habitants de Macondo sont curieux de connaître les inventions de

Melchiades dans le grand roman de Gabriel Garcia Marquez. Et il ne se gêne pas. Il

impose à tout ce beau monde la beauté de ses calebasses façonnées. Là, il leur

en met plein la vue comme pour leur dire : « la beauté est une question de patience.

Les vrais artistes savent que la laideur dans ce monde n’existe pas. » Le bonhomme

est aussi poète maman, il sait dompter les mots pour les rendre doux comme tes

ânes dressés pour porter tes marchandises. 


Je suis ami avec une fille qui s’appelle Sandie. Oh Ma ! cette fille-là est un

délice! C’est la joie faite chair et os. Elle rit aux éclats. Je l’observe souvent. Elle peut

se mettre à raconter ses amertumes et d’un coup elle éclate de rire comme une gifle

sur le visage de l’infortune. C’est à la fois étrange et impressionnant. Je n’ai de cesse

de lui répéter que  cette joie-là est son plus puissant allier contre les moments noirs

de la vie. Je lui répète sans cesse qu’elle est incroyable, qu’elle est merveille et que

l’adversité doit ignorer le poids de son mal à tourmenter une si belle personne. Oui

maman, sa joie cache des plaies profondes. Mais c’est bien cela qui est fort.  Ah oui

maman l’exil nous rend forts aussi ! 


Tu vois, ton gamin-là, celui-là dont tu tirais les oreilles pour qu’il fasse ses

lacets, hé ben… il est devenu homme à part entière maintenant. Il multiplie les 

lacets, on l’appelle Monsieur-lacets. Les belles l’appellent pour qu’il leur fasse leurs

lacets. C’est une gloire de pouvoir les servir maman. Ton fils est un gentleman. La

dernière fois on lui a dit que c’était con d’être gentleman dans un temps si dur. Il a

répondu que cela  n’avait rien à voir. Mais la personne a insisté et a dit « quand il

pleut des tonnes, que tu soies mouillé, que tu viens voir ta chérie ; elle est chez elle 

au chaud et que l’imprévu t’amène à faire un tour avec elle sous cette pluie et que tu

lui donnes ton manteau. En sachant qu’elle reviendra chez elle et pourra se changer

à tout moment. Il n’y a pas d’autres noms à cela et surtout pas gentleman. Sinon que

t’es con mon ami ». Ton fils a ri et est partie comme tu dois être certainement en train

de rire aussi maman. Je te vois. 


J’ai encore plein d’autres amis Ma. Ils sont tout aussi extraordinaires les uns

que les autres. Ils sont tous des créateurs. Ils ont pour la plupart un rapport

indéfectible avec les mots comme s’il n’y avait pas d’autres moyens sur terre pour

éteindre plus efficacement les flammes des maux. Avec eux je colonise le pays. Ce

n’est pas avec armes en mains et tout le tralala. Non avec nos mots maman. Des

mots doux. Des mots durs. Des mots purs. Des mots amers. Des mots salés… des

mots !


En ce moment on fait parler de nous avec notre Anthologie de la revue

Oyapock parue chez « Atlantiques déchainés ». C’est un bébé commun. La fierté

d’un petit collectif qui passait inaperçu il y a peu et maintenant sillonne Cayenne et

ses environs pour lui faire savoir son existence. «  Tout bonheur est de rencontre »

dit André Gide, ma rencontre avec ce collectif est source de joies maman. Il suffit

d’un instant de conversations avec l’un ou l’une des membres pour que je réalise que

le monde est si riche et si vaste. Si riche en beauté, si vaste en laideur qu’on

ambitionne de combattre. De celui-ci, j’ai tant à dire, il en faut un roman, pas une

lettre. Alors ne mélangeons pas les genres. Juste : ce collectif est un rayon de soleil

dans ma vie de plumes. D’après les bruits qui courent, notre bébé serait le premier

d’une grande lignée à venir… affaire à suivre !


Cette affaire-là qui s’appelle l’école : je tire mon épingle du jeu maman. Tu le

sais. Je suis toujours aussi acharné comme toi qui ne lâches pas d’une maille ton

commerce. Cependant une menace plane sur nos têtes d’étudiants d’immigrés

maman : à la rentrée prochaine, on devra payer plus cher nos frais d’inscriptions. Se

loger deviendra plus marathonien qu’une simple formalité. Ça s’appelle « les lois

immigrations » maman. A la télé on dit que c’est un vrai cocktail de la Macronie et du

RN. Je sais que tu ne sais pas de quoi je parle concrètement. Mais j’attire juste ton

attention sur le fait que c’est chaud maman. Comme je suis ton enfant, et que tu es

censé être mon amie, mon problème est aussi le tien.   Mais ne te tourmente pas

maman. Tout ira son train. « Il n’y a que le monde qui reste, il n’ y a que le temps qui

dure. » dit le grand philosophe des lumières. Toi aussi tu as bien ta manière de

philosopher sur la vie : « la vie est une image », me repètes-tu souvent. Une façon

de me dire de ne m’inquiéter d’aucune mésaventure car son temps de péremption

finira par se poindre tôt ou tard dans ce monde éternel. En ce sens, Slimane et Vitaa

m’ont rien appris avec leur « ça va, ça vient » tu m’avais déjà appris tout ça ! Je

connais la chanson ! Merci maman !


Ma, que cette lettre puisse te trouver en bonne santé - en bonne compagnie

aussi. J’ai longuement hésité à prendre ce temps de cœur-à-cœur avec toi. J’ai

beaucoup à te dire. Tu me manques beaucoup Maman. Ma sœur me manque aussi.

Je vous aime. Je fais le beau derrière le clavier car jamais je ne vous le dis dans une

note vocale. Oui c’est toujours plus facile de l’écrire que de le dire, je l’ai déjà dit.

Mais l’essentiel c’est que tu l’apprennes, qu’importe le moyen. Pourquoi les fils ont

toujours plus de mal à mettre des mots sur leurs sentiments ? Certains vont répondre

que c’est parce qu’ils se sentiront dévirilisés de se mettre à conter leurs états

d’âmes. D’autres vont plancher pour l’idée que les fils ont d’autres moyens de les

exprimer et donc que les dire est inutile. Je ne suis ni pour l’un ni pour l’autre. Je

réponds juste que c’est là un mystère . En entendant de déceler tout ça, je l’écris :

vous me manquez et je vous aime !


Hier au soir, minuit sonna, ayant eu assez de temps de sommeil, je me suis

mis à lire Martin Eden. Un type qui est fou amoureux d’une femme qui a trois ans de

plus que lui, et le plus gros de l’affaire est que cette femme n’est pas de la même

classe sociale que lui. Elle, elle est de la race Morse, une famille bourgeoise. Lui, de

la classe ouvrière. Je trouve que son histoire est à la fois drôle et touchante. C’est

beau maman. Grâce à cette femme il a compris que l’être humain ne vit pas de pain

et de la misère seulement. Mais aussi des paroles de connaissances, de l’élévation

de l’esprit, de la dignité…  J’aimerais aussi avoir son courage aveugle : il est prêt à

mourir pour cette femme maman. Je trouve que son degré de gentleman dépasse les

bornes quand même.


Je soupçonne qu’il est dans l’erreur maman, car il attend qu’il soit aussi cultivé

et haut en statut que cette femme pour lui déclarer sa flamme. Il a  beau être sympa.

Mais c’est là agir en ignorant que de penser qu’une femme l’aimerait pour son

intelligence et pour son rang social. A trop attendre, je crains que cette femme puisse

trouver mieux ailleurs. Affaire à suivre. Pourquoi je te raconte cela maman ? Parce

que bientôt je te présenterai ma Ruth Morse aussi pour laquelle j’en ai mangé et en

mange aussi des bouquins. Mais à la différence d’Eden qui met du temps à

accoucher, j’ai pris de l’avance : je lui ai dit mes sentiments depuis le début. Je lui ai

dit mes quatre « je suis jeté, je suis ramassé » . Elle le sait. Et maman, tiens-toi bien :

elle a accepté de faire de moi l’heureux roi de sa cour. Jackpot ! Affaire à suivre. 


Je vais bien maman. Merveilleusement bien même. Enfin je veux dire que

pour le moment je me porte bien mais peut-être que je me laisse duper par la magie

de noël, maman.  En ces jours de guirlandes et de sapins étoilés, malgré les mers et

les océans qui nous séparent, je ne peux que penser à toi. Dans le ciel de la ville, il

pleut des feux d’artifices comme les orages dont tu me faisais la description avant-

hier au soir qui décoraient le ciel de Nicolas. La famille va bien. On profite comme on

peut. Poulet boucané. Punch coco. Musique. Le sourire inaugure et honore son

voyage du sourire  annuel. C’est comme le Père noël, qui  vient une fois par an et

donne toujours trop peu pour combler l’année entière. Le sourire et le Père noël ça

va ensemble. Mais l’essentiel c’est qu’ils donnent. A nous maintenant de faire en

sorte que ce qu’ils donnent demeure. Alors, Joie, Bonheur, Santé, Richesse,

Amour :  cultivons-les et soyons des rois du partage.


Maman, je t’embrasse, Joyeux noël  ! 


Ton enfant qui t’aime tant !





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