Le Boxeur ailé - une nouvelle de Miguel Duplan

Il n’était pas immense comme Le Merveilleux Hagler. Néanmoins, ce qui me reste de lui comme impression, c’est une dureté dans le combat et la haute précision de ses coups. Reprenons. Il m’avait reconnu avant moi. Je ne me rappelais même plus son nom. C’était l’un de mes anciens élèves. Nos retrouvailles furent chaleureuses. Comme un rendez-vous pris de longue date. Il avait posé par terre sa bicyclette sans freins. Il parlait beaucoup. Il parlait beaucoup. Il voulait me dire qu’il avait réussi. Il travaillait maintenant dans une station service sur la route de Montjoly. Il donnait le biberon aux 4X4 des autres. Un jour j’en aurai un. J’ai des relations maintenant. Il me parlait de sa copine. De sa petite maison en tôles et de son jardin clandestin. Il habitait chemin Saint-Antoine. Un quartier bien. Hein… Il disait qu’il plantait des bananes et des pois d’Angole quand il ne boulottait pas. Le samedi soir, il jouait au loto radiophonique. Et qu’après, il faisait la fête avec ses voisins jusqu’à tard dans la nuit. Que je pouvais passer. J’avais envie de m’en aller. Et déjà j’allongeais la main pour dire au revoir et à bientôt. Et puis la déveine, poitrail nu, s’était pointée. Elle lui ressemblait trait pour trait. L’Autre avait saisi le vélo, lui avait vaguement dit : c’est à moi, et s’apprêtait à enfourcher l’engin et à se casser pour de bon. Déjà, mon Homme lui sautait à la gorge, le bousculait de manière intrépide, lui arrachait l’objet de ses pensées et avançait sur lui, avant-bras recourbés, poings serrés, le corps trapu comme un boxeur chevronné. L’Autre n’avait pas de réactions. Une simple attente. Et je vis le poing droit de mon Homme s’écraser sur un menton mal rasé. Puis, le gauche, rapide aussi, brutaliser tant bien que mal un flan trop osseux. L’Autre s’était courbé. Il avait mal. Et il reprenait la même chose tout de suite. Mon Homme tournait autour de sa victime maintenant. Dans le bas du dos, il lui assénait deux trois quatre coups secs. L’Autre s’écroulait. Mon Homme était toujours dans la rage. En passant, il lui distribuait des grands coups de pied dans la gueule. Ça saignait. Ça saignait. Ça saignait. Et je restais là, stupide, surpris, comme abattu et allez savoir pourquoi, je n’avais dans la tête que les Frères Déjean, que Fanfan dit Le Gros dit La Douceur, que Julia l’économe qui suppliaient : Haïti Chérie, je t’aime.

Sainte-Marie, fin janvier 2010