Mon petit monstre-fils, aujourd’hui te fait une graine de sable de plus à compter sur le rivage où la mer soumet tes pieds à l’irrévérence de ses vagues et de ses vomissures. J’espère sincèrement, que tu pourras avec résilience, en compter d’autres. Et ce, malgré l’inclémence du futur improbable de ce pays de petites gens qui ne marchent qu’avec leur tête sous les aisselles. S’il t’arrive mon petit diable-humain, de lire ce texte en cet instant de bonheur avorté, sache que je l’ai décidé ainsi. Et, si les personnes à qui j’ai confié ta garde te l’ont donné exactement à l’aube de ton dix-huitième anniversaire de naissance, sache qu’ils sont des gens fiables. Sans l’ombre d’un doute tu es entre de bonnes mains. Dans cette lettre tu trouveras peut-être toutes les réponses à tes questions posées lors de ton enfance peu conventionnelle.
En lisant cette lettre, tu te sentiras peut-être au cœur de l’un des plus orageux des jours de ta vie. Je sais. Il fallait que tu découvres la vérité. Car, à mon sens, tu en as grandement besoin. Vue le nombre de questions que tu poseras à toi et ton entourage. Bien avant que je poursuive l’objectif précis de cette lettre, je te prie de faire preuve d’indulgence envers Mireille ; l’infatigable sœur qui porte son cœur au creux de la main. D’ailleurs, je me suis même demandé si elle ne s’est pas trompée de chemin en venant sur terre. Bah non ! L’essentiel, c’est qu’elle maintient indéniablement l’équilibre bien-mal sur la terre. Ce genre de personnes, même minoritaires, empêchent apophis, le dieu qui incarne le mal, l’immensime serpent, de nous contaminer le sang avec son venin maléfique. Si elle t’a menti fiston, durant toute ton enfance de pèlerin sans bâton, elle n’y est pour rien! Elle a juste été contrainte de plaire à la bonne volonté d’un homme-amoureux qui a perdu goût à la vie.
Le jour ou j’ai fait la rencontre de ta mère, me semble-t-il, est un phénomène qui échappe au contrôle de celui qui tisse la toile du temps. La nature dans son entièreté s’était mis à rebeller contre l’ordre temporel dûment établi. Je me rappelle de ce jour comme s’il était encore hier. Il faisait un soleil inhabituel. On peut dire un soleil littéralement étrange, sa chaleur était d’une intensité impuissante à faire glousser de plaisir mes pores, jadis sensibles à ses charmes. Habituellement, marchands-ambulant, chômeurs-promeneurs tels que moi, sous le soleil de midi à Port-au-Prince, nous sommes chacun une femme fontaine. Il n’est point besoin de faire d’efforts immenses pour avoir le corps tout trempé ; jusqu’à ce que la distance qui sépare notre peau de l’habit que nous portons ne soit qu’un détail.
A ce jour cher à ma mémoire, le soleil a temporairement cessé d’être un bien commun. Il était devenu mien. Du moment où je t’écris cette lettre je m’interroge incessamment sur cette aubaine. Je le ressentais entourer ma tête telle une auréole qu’un peintre aurait placé minutieusement sur la tête du saint emprisonné dans son œuvre picturale. A en croire l’expression du visage de chaque piéton on pouvait dire à cœur léger que le soleil avait avalé ses routines. J’avais cette folle envie de questionner n’importe quel passant : N’avez-vous pas remarqué que le soleil s’est fait une place de choix sur ma tête ? N’avez-vous rien remarqué d’étrange aujourd’hui ? Il aurait sans doute ricané, sans m’accorder trop d’importance à mes questions humainement-bêtes. Ou bien s’il s’avère être de mauvaise humeur ce jours-là, il aurait vite ignorer et me faisant simultanément des signes amers avec la main ; symbole de son refus de continuer à m’écouter. La situation aurait été diablement gênante. Du coup, j’ai décidé enfin de jouer le jeu. J’ai fait semblant de ne pas remarquer l’étrangeté du jour comme tout autre passant d’ailleurs. Il n’était pas question que j’en parle à quiconque ! Me faire traiter de fou, a été de toute évidence, la dernière de mes folies.
Ici-bas, dans ce monde de gens de bas-instinct, on peut vivre promptement sa vie d’inculte. L’inculture, voilà la condition sine qua non pour gagner son droit de vivre. C’est comme aux époques obscures où les curieux se faisaient tuer pour avoir été curieux ; pour avoir trop questionner ; pour avoir même se questionner en tant qu’humain. Sauf qu’à l’époque à laquelle je vis, on ne risque pas nécessairement sa peau pour avoir posé trop de questions intelligentes. Cependant on peut se faire ridiculiser, se faire passer en dérision pour ça. Donc, une mort sociale. Il n’était pas question que j’augmente le nombre de fous à Port-au-Prince sous le regard viscéral de ces gens d’une ignorance grotesque.
Bien avant que ta mère vienne me croiser le chemin ce jours-là, je marchais sur des pas silencieux. La tête négligemment baissée. J’avais les yeux rivés vers mes pieds qui s’empressaient d’ailleurs à m’emmener si tôt chez moi. Car, la nuit s’apprêtait déjà à revenir sur ses pas-vagabonds. A force d’être souvent déçu, je savais à coup sûr que je n’allais rien trouvé à manger qui puisse assagir cette faim géante et féroce qui dépouillait constamment mes tripes de son contenu. Face à une telle situation mes pieds risquaient gros. Et cela a carrément menacé l’harmonie-corporelle. J’étais le témoin oculaire d’une interminable dispute dont les antagonistes sont mes pieds et ma tête. Ce conflit-membres d’un seul corps, me paraissait inédit. Je le sentais au fond de moi. Je vivais chaque jour dans ma peau, j’habitais même les plus reculées des coins de mon corps. Jamais ! Je n’ai ni ressenti ni voir venir de loin une telle division. Qui de mon espèce, c’est-à-dire les laisser pour compte, les fils et filles illégitimes du Bondieu-bourgeois ne connaît pas de façon permanente la faim-provoquée ? J’en doute sincèrement qu’il existe une exception. Qui parmi les gens de mon espèce ne connaît pas la fatigue à force de patrouiller, sans avoir de destination fixe, dans les rues du Port-au-Prince d’autrefois ? J’ai toujours refusé de vendre mon temps, ma liberté et ma chair pour un salaire qui fait pitié. Être chômeur-ambulant cela m’est plutôt bénéfique ! Dois-je te dire en toute franchise combien je compatissais à mes pieds fiston. En tout cas, ce qu’il convient de conclure, certaines fois, les parties de nos corps ne s’accordent pas toujours pour jouer la partition-corporelle. À Cela, il faut en tenir à l’évidence ! Compte tenu l’impossible concession entre ces deux parties de mon corps, qui étaient censés jouer fraternellement leur rôle, j’ai dû intervenir et trancher en faveur de ma tête. Elle ne revendiquait juste un peu de ballade. Ne serait-ce que pour se débarrasser de quelques soucis ponctuels.
Les rues de Port-au-Prince s’enivraient toujours de ma compagnie. C’était un jeudi, Je me suis laissé traîner dans la plupart des rues de cette ville-poèmes. A ce qu’il me paraissait, mes vieilles connaissances avaient changé leurs maisons de facettes. Je n’ai trouvé personne à saluer, personne à qui parler même pour quelques secondes. Bon gré et malgré tout n’était pas perdu. J’ai vu venir de loin une femme qui s’amenait si frénétiquement vers moi, et ce, malgré la largesse de la rue capois, elle marche décidément tout droit vers moi. Elle me semblait familière, on aurait dit une miette d’amitié a force d’en manger trop, que j’ai laissée négligemment tombée quelque part qui m’est revenue. En l’observant venir, je m’interrogeais sur l’éventuelle planète dont on a partagé antérieurement un peu de nous-même. Je déteste amèrement les conclusions paresseuses, mais vue la brièveté de chacun de ses regards, elle m’a tout bonnement l’air d’une insatiable qui a fait de si longs chemins, dans l’espoir de rencontrer sa source ambulante, la seule qui puisse étancher sa terrible soif. A toutes ces idées farfelues qui me venaient en tête, Elle n’avait encore moins, l’air de l’une de mes conquêtes-monnayée à la grand-rue. Là-bas il fut un temps le sourire de nos putes leur servaient de gagne-pain. Il n’y a que là qu’une fille puisse s’offrir le luxe de me sourire si tendrement. Sauf que ce jour-là étrangement je n’étais pas à grande rue.
Celle-là, elle était d’une simplicité peu discutable, porteuse d’une beauté interdite aux mortelles. Celle qui fait baver mêmes les lèvres les plus sèches. Elle me fixait d’un regard hybride. Elle caressait au bout de ses lèvres un sourire mitigé. Ce genre de sourire rare et précieux, tel un rhum de vielles dates qu’on réserve pour les plus ludiques des occasions. Il m’arrive, quand un sourire sort pour la première fois de sa cachette, je le reconnais, par ses démarches ciblées et suspectes. Sa tête était surmontée d’une perruque de couleur rousse foncée. Elle s’habillait de façon modeste. J’ai gardé en tête les plus minimes des détails. Je m’abstiens d’en faire le portrait, sinon tu risquerais de lire cette lettre pendant toute la journée. Bref ! Ces ainsi ta défunte mère et moi, sommes croisés pour la première fois.
Je dois te dire mon fils, l’amour est un vice humain. Le plus vieux vice qui nous a fait, nous les humains, rater notre occasion de devenir ange. Les premiers amoureux ont échangé leur immortalité contre de l’amour. Ils se sont dit peut-être à quoi ça sert de vivre hors-temps si on ne peut pas vivre divinement nos faiblesses ? Cette question a certes défiée l’autorité de la providence mais elle a permis aux humains d’inventer l’amour. Si les anges sont condamnés à vivre éternellement, nous les humains nous vivons comme bon nous semble notre mortalité. Voilà Comment on n’en a hérité tout ça. Ta mère et moi, puisque nous sommes humains, par conséquent, mortel, nous avons fait, nous aussi, l’expérience de ce petit sentiment faramineux et vif que l’on appelle l’amour. Il a rythmé nos comportements et ce, sur de bases concessionnelles. Il nous a fait savoir combien elles étaient mures nos faiblesses humaines. Parmi toutes les personnes que j’ai pu croiser ici-bas, que nous t’avions fait venir d’ailleurs, il y a de cela 17 années. Elle seule, sans langue de bois, tel un miroir parabolique, pouvait rassembler en un seul corps tous les rayons du soleil égarés dans chaque interstice de la ville ; les concentre afin d’attiser ma flamme intérieure. Tu ne peux l’imaginer combien nos cœurs s’entre-lassaient, telles des lianes qui dissimulent les artères d’un arbre se trouvant au bord d’un chemin occasionnellement fréquenté. Nos cœurs formaient ensemble une sorte de nœud. Pardonnez-moi ce propos légèrement vaniteux ! C’est le moins que je puisse dire. Un nœud résolument résistible face aux discours fielleux venus pour la plupart de nos proches. Nous seuls, pouvions démarrer ce nœud ! Notre complicité nous a permis de fond en comble de défier cette tendance purement mathématicienne qui divise les mortels pour ne pas vivre de façon illimitée l’amour vrai.
Jeunes, amoureux, on vivait harmonieusement sous un même toit. Une piaule dont je suis honteusement le propriétaire. Notre relation malgré les inconvénients de la vie était le théâtre à pleine vue d’une obsession démesurée pour le sexe. On était tous deux accros. Par-dessus tout on s’aimait. On faisait du sexe quand ça allait bien et même quand ça n’allait pas bien. On se consommait, on se mangeait inlassablement la chair, on se désaltère chacun de son sang. Nous étions l’un pour l’autre une source de plaisir sexuel partagé. Notre corps était pour chacun un refuge assuré. Elle était mon seul et unique amour. Jusqu’à ce que ta mère tombe enceinte. Cela a réduit considérablement la fréquence de nos rapports sexuels.
Le hic, c’est que, ta mère et mois à l’époque rêvaient et voulaient tout faire pour solidifier notre amour sauf avoir précocement un enfant. Pour cela, on a toujours su dissocier plaisir sexuel et reproduction sexuelle. En apprenant le retard de sa règle, soudainement les puissantes flammes de l’enfer ne se sont mises à germer que dans ma tête. A maintes tentatives, on a voulu reporter ton voyage, considéré pour nous à l’époque comme une sentence indigne de nos plaisirs sexuels voluptés.
Je n’ai pas honte de le dire, ma nymphe en l’occurrence, ta mère, et moi avions décidé de tout faire pour sauvegarder l’intérêt général, notre relation sentimentale. Car vraisemblablement ta venue non-souhaitée à l’époque où nous venions a peine de nous faire une curieuse complicité pour consommer davantage notre relation vachement succulente. Te voilà enfin venir faire le remue-ménage. Tu as résisté à maintes tentatives d’interruption dont nos maigres moyens économiques pouvaient nous offrir. Il était encore tôt que tu fasses partie du plan de notre relation sentimentale. La plupart de ces tentatives d’interruption s’expliquaient aussi comme une échappatoire aux questions abruptes que tu nous poserais sans doute un jour ; celles que j’aurais posées moi-même à mes parents il y a de cela trente impitoyables années. Puisque tu as insisté sans relâche, on était obligés d’accepter avec les mains liées et contrecœur ta venue dans notre vie et tout ce qui vient avec.
Il était deux heures dans l’après-midi, c’était encore l’un de ces jours où le ciel peignait encore son tableau de nuage. Les regards longs et curieux des gens lui servaient de chevalet. Je recevais tout à coup un appel venant d’une personne inconnue. Elle me disait : Tu dois passer tout de suite à l’hôpital général car ta femme a grandement besoin de toi en ce moment ! Stupéfait, je n’ai même pas eu le temps de répondre en guise d’avoir d’autres informations complémentaires. Elle a vite raccroché. Je me précipitais d’aller à l’endroit convenu. Tout au cours de la route, je me suis demandé : pourquoi tu cours ainsi ? Qu’est ce qui te dit que la personne dit vrai ? Par contre, elle était justifiée cette question. Car ce jour-là était un premier avril. C’était la période du poisson d’avril. Les gens ont traditionnellement cette fâcheuse tendance à concourir aux plus beaux mensonges. De toute façon j’ai décidé de prendre le risque, car j’avais certainement une femme enceinte, exactement comme l’a décrite cette voix inconnue et bizarre au téléphone.
Enfin je suis arrivé ! Cela m’a seulement pris 20 minutes. L’hôpital un tel endroit me faisait toujours une de ces peurs bleues. Me voilà aujourd’hui obligé d’être à cet horrible endroit.
En entrant j’ai dû m’identifier. Le docteur qui s’occupait de ta mère, avec les mains tremblantes, et un regard soupçonné de tristesse, il m’a confié un bébé en disant : monsieur, félicitation tu peux tenir maintenant quelques secondes ton mignon fils ? En te prenant dans mes bras je savais qu’il me gardait un secret. C’était d’ailleurs pour la première fois quelqu’un m’appelle monsieur. En temps normal, je me laisserais vite amadouer par ce nouvel statut que l’on vient m’octroyer. Je l’ai pris juste pour un calme-toi, j’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer. J’ai pu remarquer ta mère qui gisait froidement sur un lit qu’on s’apprête à envoyer à la morgue. Je ne puis me passer de ce jour comme celui de notre première rencontre. Le docteur prend résolument la décision de m’annoncer malheureusement : « ta femme n’a pas survécu à l’accouchement on a pu sauver que le bébé. » Cette phrase si franchement annoncée par le médecin par ses effets, elle a entaillé complètement mon cœur.
Ta mère et moi on arrivait à peine à se parfaire un rêve ambitieux. Je l’ai aimé ardemment et ceci de façon sincère. En venant, tu m’appris celle qui me donnait envie de vivre dans ce monde. Du courage, il m’en manquait énormément. J’étais incapable de te tenir dans mes bras tels un vrai père. Ta venue a causé la perte de mon bien-aimée. A ce moment j’ai voulu tout simplement t’abandonner. Je ne pouvais surtout pas regarder en face cet enfant qui m’a pris mon amour. J’ai dû renoncer une fois à la paternité. J’ai pris la décision de te déposer sur un trottoir espérant que quelqu’un te prendra dans ses bras ; j’assistais non loin à la scène aucun inconnu n’a pu me débarrasser de toi. Je ne pouvais supporter tes cris nocturnes, je pleurais au tant que toi la mort de ta mère. J’ai été impuissant à contrôler la situation. C’est ainsi que je t’ai confié à l’orphelinat tu te retrouves actuellement, lequel dirige Sœur Mireille.
Puisque tu m’as pris la personne qui m’était la plus chère sur terre, ma place n’est plus encore ici.
Je suis seul. Seul avec moi-même, seul contre moi-même.
Ta mère, elle doit être seule en ce moment. Je dois la retrouver !
C’est ainsi que Je t’annonce fièrement que tu es orphelin de père et de mère.
Cette lettre c’est peut-être la dernière trace que tu auras trouvée de moi sur la terre.
Je ne serai plus jamais là pour toi !
Pour commencer, je tiens à féliciter chaleureusement mon camarade pour ce texte riche et poignant. L’écriture est empreinte d’une poésie captivante qui sait habilement mêler la tendresse d’une lettre paternelle à la profondeur d’une réflexion sur la condition humaine. La manière dont tu explores des thèmes universels tels que l’amour, la fatalité et l’épreuve du temps tout en conservant un ton intime et personnel témoigne d’une grande maîtrise littéraire. L’émotion ressentie au fil des lignes ne fait que renforcer l’attachement que le lecteur développe envers le narrateur et son fils, ce qui est une qualité indéniable du texte.
En ce qui concerne mon commentaire, j’aimerais souligner plusieurs points forts. Tout d’abord, l’utilisation des métaphores, telles que l’image du "monstre-fils" ou…