Cretté Alexandra
Je suis un Ara - un poème de Daniel Pujol
A Julien et Florence
PRÉLUDE
Pas de silence en soi.
Que des choses silencieuses,
essaimées parmi nous
embûches pour nos projets
nos chimères
ou bien parfois aussi
servantes
sobres, fidèles et amicales,
nous secondant jusqu’au
bout
dans nos quêtes sans trêve
d’ajustements.
Or il nous faudrait la sagesse
de l’escargot,
capable, dit-on, de progresser
sur le fil tranchant d’un rasoir,
la sagacité du moustique,
qui oppose à la réalité
son zigzag erratique.
L’audace de la tique
et ses plongeons spectaculaires
vers la chaleur accueillante
d’un pelage.
Sans oublier les sauts de puce.sources, souches, spores, feuilles, tissus, chromosomes, noyaux, graines, œufs, gouttes, éclats,
filaments, virus, bactéries, particules, molécules, cellules, bulles, neurones, neutrinos,
spectres, suppurations, cristaux, vapeurs, gaz, précipités, frottis
Nos mots infinis
heurtent les meubles
du monde
ameublement sonore
conçu
ou peut-être pas
jailli tout mélodique
d’un gouffre
bruissant pour
dénoter
connoter
insuffler
un peu
notre présence.
Aubaine,
brèche dans le glacis
brèche dans la muraille.
Et du sein d’une inattendue échauffourée
surgissent d’innommables entités…
sacrificielles,
métalliques,
hurlantes.
Calmer le jeu.
1.
« Donner des ordres, et agir d’après des ordres - »
Je ferai ce que je ferai lorsqu’il faudra faire ce qu’il faut faire et
Ne ferais pas ce que je ne ferais pas lorsqu’il ne faudra pas faire ce qu’il ne faut pas faire.
Amen aux énoncés comminatoires qui me mènent au zénith,
Amen aux mondes qui m’enveloppent et que j’enveloppe,
En de belles phrases pleines de sucs et de sagacité,
Amen aux mains qui me soutiennent et me guident,
Dans les strates inférieures et supérieures de mes états physiques,
Je mènerai mes pas dans les pas incandescents, qui
Contournent le volcan aux sombres bords,
Je lècherai d’une langue vive la salive qui dissout
Les questions et les réponses superfétatoires,
Je prierai d’une prière ardente toute cause qui daigne,
Se résorber dans son effet.
Tout cela me vient de ce que j’obéis en moi aux signaux qui se présentent
Hauts perchés, en aplomb, sur la paroi qui me toise.
A mon tour aussi de commander.
Aux nervures qui troublent le marbre dans sa volonté de se fluidifier,
Aux fluides qui gorgent les fruits au plus près de nos bouches,
Aux bouches qui clament ou susurrent des insanités bénies,
Aux bénédictions qui poussent les âmes les plus pures aux plus amples blasphèmes,
Enfin aux creux des vagues pour qu’ils redeviennent abîmes.
« Décrire un objet en fonction de ce qu’on en voit, ou à partir de mesures que l’on prend - »
Là où plus rien ne se domine, virevolte, vibre, flotte, flocon ou plume, qu’un souffle disperse.Où encore, y-a-t-il un objet aujourd’hui ? Une chose ?
Qu’est-ce, encore, aujourd’hui, un objet ? Une chose ?
Réduits à des pixels, des algorithmes, des échos et des images…
Ou plutôt non pas réduits mais augmentés, enflés jusqu’à percer
Jusqu’à nous comme des chants de sirènes, des mélopées.
Décrire pourtant, il nous le faudra un jour encore et encore,
Non par les anciennes voies de la parole et du geste,
Non pas d’une voix grave ou éraillée en effets ironiques selon les circonstances,
Non par des énoncés de symboles universels,
Mais en un râle unique et infini, équivoque, vicieux.
« Produire un objet d’après une description (un dessin) - »
Ce qui n’existe pas n’est pas le contraire de ce qui existe.
Avec cela en tête nous pouvons toujours produire,
Tout en sachant que produire n’est pas une mince affaire.
En tremblotant des traits cernent nos idées de remparts crayeux,
nous dissimulons des lueurs plus claires, des lueurs plus profondes,
qui exhibent en plein jour nos effondrements.
« Rapporter un événement. »
La réalité s’amenuise et il n’arrive pas grand-chose.
Désarçonnés.
« Faire des conjectures au sujet d’un événement. »
Le blanc s’étale sur la toile tu auras alors plus de temps à attendre.
L’aube dissipe les émanations des champs de bataille, tu vivras.
La vague ravale son écume en plein jour elle viendra.
Le feu se retient d’un souffle inutile, elle t’aimera.« Etablir une hypothèse et l’examiner. »
Si nous lapions la rosée matinale sur le front des statues,
nous pourrions en tirer une subsistance infinie.
Elle nous brûlerait aussi, peut-être, ou nous assécherait la gorge,
mais nous survivrions, on survit toujours, toujours.
Et il faut arrêter maintenant de jouer avec la philosophie.
Se mettre au jour le jour de nos manières propres.
Celles qui entre l’aube et le soir nous distinguent,
par nos appréhensions et la délicatesse de nos regrets.
Nous demeurons souriants, simples, apprêtés aussi parfois,
selon les circonstances, comme nous l’avons appris à
la télévision le dimanche après-midi, lorsque nous
cherchons des recettes pour bien mourir,
ou bien en ligne, à présent que plus
personne ne regarde la télévision,
surtout le dimanche après-midi.
Par où distinguer le dieu de l’animal ?
Habitue-toi à l’habituel. Ce n’est pas facile.
Apprend par des exercices spirituels à respirer et à marcher dans la rue.
Détache-toi de l’ombre pour la proie.
2.
Regarde cette jolie infirmière hispanique qui rentre chez elle après une nuit de garde.
Sa blouse de travail comprime ses chairs douces et fermes, que quelques élus peut-être,
à force de ruses enfantines, de dévouement sincère et efficace à résoudre les soucis incessants
d’une jeune mère célibataire au salaire juste compté pour se donner une contenance dans la
vie, un peu de maintien et de coquetterie, découvriront nues et vraies.
La belle infirmière, Elvira, Anna, probablement Josy et pourquoi pas Maria Portaballes, qui se
souvient, un sourire un peu convenu animant ses traits à peine ternis par une nuit de garde, des
couchers de soleil sur le Malecon, Santo-Domingo, districto nacional, si propice aux histoires
amoureuses, et pourtant, incapable de fournir le pain quotidien, du moins pas autant que ce
coin de Brooklyn qui exige néanmoins de supporter le changement brutal des saisons.
Tu la regardes et tu penses à elle mais elle ne pense pas à toi.
Une mélodie simple et bien rythmée se mêle dans sa tête au projet d’emmener sa fille à la
patinoire cet après-midi, après quelques heures de sommeil, une douche et le déjeuner.
Elle n’est pas vraiment seule mais pas non plus accompagnée. Des amies, des cousines, des
voisins, parfois un homme, mais elle ne saurait dire pourquoi les aventures se succèdent sans
donner grand-chose, si ce n’est du plaisir et de l’espérance. Elle a disparu au coin de la rue le
temps que tu imagines un moyen d’attirer son attention et vivre au moins une fois en dehors
des mots, des phrases et des citations.
3.
Je me tatouerais bien des ailes d’ange dans le dos,
les difformités de l’âme m’en empêchent
et, il faut l’avouer, mon extrême sensibilité
à la douleur physique.
La prière bien sûr, il y a la prière.
Prière pour hâter la venue du printemps,
prière pour hâter le départ du printemps.
Prière pour rendre le besoin de prières encore plus pressant,
prière pour ne plus prier.
Où braire, aussi, suppose un destin.
Et pourquoi pas des scarifications ?
Fantaisistes, au gré de la lame,
loin de toute prétention d’appartenance,
de rituel, de hiérarchie dans l’ordre des
hommes, ou des spectres, ou des dieux.
Pour faire de la poésie une rigolade.
Tiens-toi aux aguets dans l’ordre du monde habituel, dans l’ordre du monde sans chis-chis ni
métaphores où tu guettes l’occasion d’un plaisir, banal, simplement.
4.
Petit bonhomme, trifouille les consciences.
Fantôme dans la machine,
exultant, cramoisi, amoureux de ses sinécures,
ses rentes, ses replis précautionneux.
Bouche parlant à se tordre.
Parole croisant le silence
en un signe torve
du coin de la bouche,
mi-morsure, mi-sourire.
Vois,
en ce bas de dos, en ce trémoussement
se concentrent tant de dispositions
à élire une posture,
à se mettre en position d’exister,
d’exsuder, jusqu’à se dissiper,
vaporeux, subtil, gazeux,
irrémissible.
Vert, vert, verdure, verdeur,
Pourquoi tout ce vert assaille-t-il ma tête ?
Me couvre les yeux, me couvre les mains ?
Vert d’un buisson, bayahondes,
sur la petite route qui mène à l’anse,
chez moi, là d’où l’on ne peut m’arracher,
sous les feuilles alanguies brillantes de soleil,
le ciel si bleu qu’il sort des pages d’un roman,
la femme droite dans la poussière de la route,
tourne à peine son regard,
comme ça.Rien n’est organisé.
Tout est en ordre.
Tout se passe calmement.
Serpentant dans la poussière la colonne avance.
N’y suis ni intégré ni n’en suis exclu.
Ils savent bien ce qu’ils cherchent ceux-là qui la forment,
entre guerriers et mendiants, joueurs et fanatiques,
puisant dans leurs ressources toujours en voie d’épuisement.
En l’absence d’ignames le poids des incantations suffit.
Ils sifflent vers le jour pour qu’advienne le message attendu.
Des conques, des tambours, des grelots…
Mûrs pour sursauter et se couvrir de sable scintillant.
Inspirations, expirations qui frôlent l’extinction de tout souffle,
la vie fuse, tangue, louvoie, balance…
N’y suis ni intégré ni n’en suis exclu.
Me voici, malgré moi, encore et encore,
cerné dans le labyrinthe de l’abstraction.
Ce monde labyrinthique peuplé de monstres…
Non de minotaures sémillants et poétiques.
Des monstres chuintants aux molles mains,
dissous dans leurs tentatives réitérées de
pompes à vide.Inspecteurs migraineux,
chafouins manœuvriers,
pointant du doigt de faciles cibles,
arrogants puis serviles, tour à tour,
selon leurs besoins de pointer.
Je m’en détourne,
par l’enjouement aristocratique de mon chien,
qui retrouve son os en plastique,
son élégante mélancolie lorsqu’
aucun jeu à l’horizon ne stimule son museau.
En tout, l’animal est beau.
Ô chiens, depuis Ithaque, qui nous attendaient,
humbles et narquois néanmoins, devant nos
louches péripéties, nos longs voyages…
5.
Les faits indubitables du bonheur :
La voici, Maria Marina Dos Santos, que ses amis
appellent Éliane.
Vendeuse dans un magasin de bricolage, de
Castaneirha, Bélem do Para, cidade das manguieras,
cidade mais perigosa do Brasil.
Personne dans son entourage qui ne rende grâce,
personne, ni homme ni femme, ni jeune ni vieux,
qui ne reconnaisse, sa gentillesse, son élégance,
sa beauté.
Sa peau cuivrée, sa chevelure en cascade noire sur ses
épaules, l’amande lumineuse de ses yeux, son corps fluvial.
Trois races coulent dans ses veines, races d’histoires,
de malheurs, de tumultes, de chevauchées, de navigation.
Races de chansons et de blagues, de désirs qui s’étendent
sur des siècles de veillées et
d’assoupissements.
Je dis races, car ici on croit aux races, tout le monde évoque
la race.
L’exaltant, la déplorant…
Ici, à Bélem do Para, cidade das manguieras,
cidade mais perigosa do Brasil.Tellement d’hommes, de femmes, la désirent, et imaginent
son corps nu, racé et ferme, sous la blouse bleu marine,
qui signale ses fonctions de vendeuse.
Car ici, à Bélem do Para, cidade das manguieras,
cidade mais perigosa do Brasil,
le désir est permis, l’imagination aussi, ici
on désire et on imagine, comme on respire,
on vit d’imagination et de désir.
Elle aurait bien répondu à tous ces désirs Éliane,
elle aurait bien rempli les promesses de tant
d’imaginations.
Mais elle a ses désirs elle aussi, qui se portent vers
José, son homme, son compagnon, son amour
d’enfance, d’adolescence, de jeune femme qui
travaille et habite sa maison et peut remplir chaque jour
deux assiettes à la sueur de son front.
Elle aime son José comme Eurydice aime Orfeu,
Dans Orfeu da Conceiçao, du grand Vinicius de Moraes,
poète des infinis inferzinhos, petits enfers, cruels et délicieux,
infinis dans l’amour tant qu’il dure.
« Toda a musica é minha, eu sou Orfeu ! »
José n’est pas Orfeu, José n’est pas poète,
et ne s’en porte pas plus mal pour autant.
Fils d’Appolon lui aussi dans la quotidienneté brésilienne.
E agora José…L’avantage de José sur Orfeu, ce qu’Éliane ignore comme elle ignore
Orfeu, est que José vit auprès d’Éliane, et qu’aucune raison,
mythologique, littéraire ou historique, n’est suffisante pour
les séparer, car
ni la mythologie, la littérature ou l’histoire, ne concernent leur amour.
Il n’y a pas de raison…
Imbriqués comme eux, emmêlés dans l’amoureuse quotidienneté brésilienne.
Quotidiennement, à 15h30, lorsqu’elle a fini son service, Éliane
prend un gros autobus ronflant et fumant, grinçant par tous ses essieux.
Il la conduit dans son lointain quartier de Cidade Nova, où elle retrouve chaque soir,
sa maisonnette coincée entre deux immeubles gigantesques.
José n’est pas encore rentré du garage où il gère le stock de pièces détachées.
Immanquablement, sous la douche, elle prend les poses
d’une femme qui se lave dans une télénovela, sans affectation mais appliquée à répandre
la mousse du gel, des épaules vers le pubis en se pressant les seins, en gestes lents et lascifs,
enfin… comme dans les films.
Ça l’amuse…
Voici José.
Il la retrouve parfois, encore humide de sa douche, nue bien entendu, dans la pudeur de sa
nudité, livrée aux pales du ventilateur, pour se rafraîchir.
Mais le plus souvent, enveloppée dans une serviette de bain, sa chevelure encore ruisselante
sur ses épaules, bien calée sur le canapé, un pied posé sur la petite table en formica, en
communion mystique avec la dernière télénovela de TV Globo.
Elle aime s’imaginer comme un personnage de télénovela.
Elle existe par toutes les télénovelas qu’elle regarde compulsivement depuis l’enfance.
Elle rit d’elle-même en se pensant ainsi.Loin d’être bête.
Avec José, du canapé, du minuscule salon, ils glissent vers la minuscule chambre à coucher,
on ne sait trop comment.
Et, sous les pales d’un autre ventilateur, dans la pénombre, l’amour, « infini tant qu’il dure ».
6.
- Les Burkinabés ont remplacé les Haïtiens dans les taxis new-yorkais.
- Qu’est-ce que ça change ?
- Rien. C’est nous qui changeons.
- Tu ne devrais pas dire ça. Les Burkinabés se sont rajoutés aux Haïtiens dans les taxis new-
yorkais.
- Tu dis ça parce que tu ne peux pas accepter que les Haïtiens soient remplaçables.
- Je dis ça parce que c’est vrai.
- L’autre jour, en attendant le vol pour Johannesburg à Addis Abeba… j’ai vue se remplir la
salle d’attentes de pèlerins retournant dans leurs foyers.
- Et alors ?
- Des Indiens de Durban ou des Malais du Cap, portant des barbes jusqu’au nombril, teintes
au henné, ventripotents ou filiformes, voutés ou hiératiques, aux calottes brodées, chaussés de
Nikes d’athlètes olympiques, vêtus de kamiz. Leurs mains alourdies de bagues et de chapelets
kilométriques virevoltent en de passionnants bavardages de commerçants fébriles. Ils rentrent
de la Mecque et paraissent satisfaits.
- Mais encore ?
- Des juifs ultra-orthodoxes, aux noires redingotes usées, débordants de tsitsits, aux fronts
lustrés comme des boules d’ivoire, des calottes aussi, mais noires, en équilibre sur le sommet
de leurs crânes, des tefilless plus ou moins bien peignées, un peu débraillés, chiffonnés,
également barbus jusqu’au nombril. Certains prient discrètement, d’autres papotent
aimablement, il y en a qui dorment d’un air inspiré. Partout des ballots ficelés aux formes
extravagantes. Ils rentrent de Jérusalem où le front collé au Kotel ils ont dû psalmodier des
heures entières, jusqu’à plus soif.
- Et toi ?
- Amusé à l’idée de voler parmi toutes ces barbes.
- Un festival gaucho dans un village pas loin de Salta. Il est presque 23h. On y célèbre avec
des cavaliers venus de toutes les provinces d’Argentine, le tamalé et la lutte de Quilmès pour
l’indépendance. Partout des chapeaux, des bérets, des pantalons bouffants, des ceintures
cloutées, des fouets, des bottes, des éperons, des poignards, des ponchos, des chevaux, descalebasses de maté, des grillades, du vin et bien sûr du tamalé. Je suis le seul à ne pas être
habillé en gaucho, pour une bonne raison : je ne suis pas gaucho.
- Magnifique.
- Eskou douss ?
- M pa konnin, m poko fè bagay avek mwè mèm.
- Pas de quête spirituelle sans un peu d’ésotérisme.
- Tu as raison.
7.
Plus que des Grecs et de leurs cadeaux, petit, méfie-toi
des philosophes et de leurs simagrées.
S’il est trop tard pour moi, peut-être as-tu encore tes chances.
Fuis !
Sinon tu passeras ta vie à te demander
si tu n’as pas tort de vivre.
8.
Je vous parlerai de chiens,
ils vont en meute comme les mots.
Je sens monter en moi une fureur de chien,
affolé par la proie qui longe les circuits de la consommation.
Je sens monter en moi une panique de chien,
cerné par les sollicitudes que l’on doit aux clients perplexes.
Je sens monter en moi une tendresse de chien,
vouée aux sensations dont nul sentiment n’est responsable.
J’évoque les chiens au museau frémissant, au regard
toujours déconcertant, timide, anticipant la catastrophe.
L’enchaînement de générations de chiens, réels, imaginaires,
sacrés, profanes, infernaux, angéliques…
En eux cette sagesse impuissante, le long martyre des appétits et
des joies, le long martyre dérisoire et patient.
Danses de chiens, sarabandes de connivences carnassières, si tendres.
Plénitude des jeux autour de qui saisira les couilles de l’autre.
Supplique des chiens auprès des chiennes pour un regard en biais vers leur
férocité.
Dédain des chiennes, cillement ironique, inspection des museaux comme
échange symbolique : frottements de chiens.
9.
L’aura des vieilleries orne nos demeures, hante les recoins.
Vais-je enténébrer ma belle journée tropicale par la lecture de Requiem (Ana Akhmatova) ?
Ou peut-être Le mal des fantômes (Benjamin Fondane) ?
Comme les corps des sages dans la fournaise babylonienne, pédalent dans le feu,
mes souvenirs de poètes, Gherasim Luca, Magloire Sainte-Aude, Cavafy le sagace,
Davertige le fou…
« Et moi, Daniel je fus affecté et malade pendant des jours : puis je me relevai et exécutai la
besogne du roi. J’étais tout troublé de la vision et ne la comprenais point. »
Deux souffles se mêlent en moi, halètent, à la manière des mammifères saisis
par la panique de la mise bas.
Le cri mimé par la tortue, silencieuse, intérieurement affolée en expulsant ses
œufs.
La moue du singe perché, au passage des femmes qui portent leurs enfants sur leurs dos.
Deux souffles précipitent en moi une sorte de fièvre,
non pas du corps mais de la langue parlée,
débitée en paroles au combat perpétuel.
Je suis un ara.
Goutte à goutte du monde sur mes plumes.
Mes ailes déployées éventent l’univers.
Bec dangereusement engagé en un caquetage infini,
couleurs de mes plumes couronnent le paysage et le volatilisent.
Mes couleurs aspergent les monts et les vaux de sucs prometteurs d’aubes.
Je suis un ara.
Qui rêve de m’abattre meurt en rêvant.
Je suis un ara.
Oiseau infini, infiniment absent.
10.
Caressante matière, frôlante, titillante, abrasive, aguicheuse, dévergondée, salope…
Tu me suis, m’enserres, m’entourloupes, me traques, me mets le feu aux babines.
Exaltante matière dans tes promesses, tes sons sirupeux mais aussi rauques de jouissances
retenues, réhaussées, dévalantes.
De toute cette poussière, ces gravats, ce ciment, ces briques pilées confondues à l’humus
encore alerte des chantiers, de toutes ces tuyauteries, ces câbles, ces parpaings, rien, jamais,
nulle part, ne jaillira-t-il quelque chose, l’échafaudage d’un poème, les boulons d’un chant ?
Que nous prenne à la gorge, allergie infinie, agacement de ne dormir qu’à moitié, de ne rêver
qu’à moitié, de ne mourir qu’à moitié.
