Cretté Alexandra
Exil(s), un poème d'Alexandra Cretté
J'écris au milieu des ruines
Les décombres partout autour
témoignent de combats épuisés
de sacs poubelle crevés au bord des routes
remplis un jour…
de chemises en deuil et de fleur au chapeau
de ciels rouges et verts perdus
de chasse à l'homme et de chasse à l'enfant
J'écris au milieu des féroces
Je tends l'oreille le soir
quand tapent le domino
et les trois graines de dés.
Je n'oublie rien des silences
et des rêves de révolution
J'ai laissé couler sous moi l'Orénoque et
les noms de la géographie
mes yeux gavés de vert ne repoussent plus
les souvenirs sur les murs en béton
la liste des des amants et des amis perdus
J'ai pleuré sur la tombe de mes grands-parents
comme sur poussière de misère qui ne s'en relève jamais
comme la femme qui se jette par la fenêtre
comme la mort de l'asile
comme le nid parti en fumée
comme tous ceux qui ne peuvent plus dire « chez moi »
Dans mon cri je retrouve
les noms de la géographie
Il n'y a rien au delà de mon petit miroir
Dans mes bras je serre
mes choix comme des sarments
J'ai mis sur mes épaules
le manteau de ces années de cris étouffés
et le désert des rues des villes de banlieue
autour de mon cou.
Ainsi je marche sur le fond des mers bleues et vertes
pour rencontrer ce qui ne peut ni souffrir ni mourir
ou s'évaporer dans un murmure de l'aube…
Il n'y a plus rien derrière les murs que je connaissais
Le monde est mon ami silencieux
il murmure avec moi dans la nuit et
dans la nuit
on réveille les morts
par des chants de victoire
on sort les pelles
pour réveiller les morts
on jette malheur de crachat
coq noir
bouteille à l'envers
on tête la mère de la misère
pour réveiller les hommes
avant l'aube dans la nuit qui dit trop bien son nom
on part peupler les routes vides
les chemins verts
les traces jamais perdues
que l’œil de l'homme ne voit pas.
Devant les barrières tigresses
rouges et blanches
on creuse des terriers
des caves de fortune
qui passent à travers les mers
ou sous la Cordillère des Andes
Non.
Je ne suis pas un être colonial
la terre que je mâche ne m'appartient que dans la métaphore
dans la boue et les miettes des feuilles
et l'humus
violacé de terre que je foule
pour la première fois
et pour la millième fois
Je ne serai jamais cette colonie
rien n'est mien dans cette maison du silence
ma peau ment quand elle dit qu'elle est blanche
comme la mie du pain
elle est de la couleur de tes yeux noirs et de tes lèvres rouges
et de la profondeur de ton immense chagrin
Non.
Je ne suis pas un être colonial
Je suis poupée de chiffe
traversée de piques
battue débattue et courant de rivière
Depuis toujours je vis dans des zones frontières
ma voix n'est pas un cri mais une respiration
Quand je vois le tumulte
j'accours et je tends mes mains
et les mots tombent dedans
Non, tu le vois bien,
je ne suis pas un être colonial.
Poème publié aux éditions du Temps des Cerises, in La poésie est dans la rue, anthologie de la poésie engagée contemporaine, 2008.
