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  • Photo du rédacteurCretté Alexandra

Diamants sur karaté - une nouvelle d'Alexandra Cretté

Dernière mise à jour : 5 janv.

Pour l’amusement de mon ami Daniel Pujol,

Elle venait tout juste d’avaler son sperme lorsque la sonnerie de l’alarme retentit. Dans la pénombre de l’arrière boutique, la pièce exiguë aménagée succinctement en bureau se remplit d’un bruit répétitif et criard.

TiPoèt songea : « Comme un verre subitement plongé dans l’eau », et la phrase s’inscrivit quelque part en lui sur un carnet imaginaire. Le vacarme désarma ses dernières caresses à elle et sa lente béatitude à lui. Puis elle se releva, défroissa du plat de la main son élégante jupe de tailleur beige, réajusta les mèches lissées contre son chignon, fronça ses sourcils de femme d’affaires et marcha d’une trajectoire nette vers la source du bruit. Un importun avait déclenché par mégarde ou par jeu l’alarme murale qui était trop sensible. TiPoèt resta encore quelques secondes là, sa bite sortie, le pantalon ouvert, des gouttes de sueur coulant à ses tempes et glissant lentement contre sa boucle d’oreille perlée de jais. Avec une philosophique indifférence il se dit que, de toute évidence, il n’avait pas compris grand-chose à la série de circonstances qui l’avaient mené de la rue à cette arrière boutique, et d’une presque honte à un plaisir inattendu.

*

Cayenne avait décidé ce jour là de sortir en grande pompe de la longue et lente pandémie de Covid-19 qui avait transformé ses rues en désert permanent et ses week-end en interminables couloirs de pluie brune. Il faisait beau. Le petit centre-ville se pavanait de maisons repeintes, de gazons taillés, de palmistes joufflus et de familles en sortie. C’était toute une affaire de restaurants qui attiraient le chaland avec de coûteux groupes de salsa en live, de cinémas d’art et d’essai qui tentaient des cinéastes locaux. Il y avait dans l’air un parfum composite de reprise économique et d’engouement artistique. C’était cette volonté de la ville de se ressusciter un peu qui avait poussé dans les rues la nonchalance de TiPoèt, l’éternel étudiant des marches de la bibliothèque Franconie. Il avait passé l’après midi à somnoler et à lire les pages les plus sublimes des Arbres Musiciens de Jacques-Stephen Alexis.

Dehors, un technicien maladroit réglait les basses d’une sono de podium. On avait barré la rue sur trois cent mètres.

Tout le haut de la rue De Gaulle avait été rendu piéton pour quelques heures, de la bibliothèque jusqu’à la mairie. Sur le trottoir opposé s’alignaient les boutiques de fleurs, de casseroles et de bijoux. TiPoèt regardait du haut de son indifférence la rue changer de forme, monté sur son premier étage de bibliothèque. Sa silhouette moyenne et ébouriffée, vêtue d’un costume à la fois simple et original, dominait le va-et vient des ouvriers qui finirent par poser le long d’un mur un panneau qui expliquait tout ce désordre urbain : « Salon du Mariage, Cayenne Ville Kapital ».

Le mariage. Tout un sujet de réflexion pour TiPoèt.

Il songea avec une délicatesse particulière aux photos de mariage de ses parents, posées sur le buffet du salon, version nostalgique et maniérée d’un couple un peu rude : elle grande, forte en gueule et en rire, lui petit, effacé et doux. Il y avait eu aussi le mariage de sa sœur cadette l’année dernière. Elle était si jolie avec son bouquet d’hibiscus et son grand sourire. Il n’avait en tête que des images un peu niaises mais agréables. D’une agréable niaiserie. Des ballons, des enfants en costumes miniatures, le cochon gras du repas, des rires, des cadeaux.

Mais pour lui même TiPoèt ne voyait pas de gâteau en escalier. Il pensait la plupart du temps à la liste de femmes accueillantes, disposes et bonnes cuisinières qui aimaient lui roucouler des mots d’amour et des mots salaces dans le cou. Il leur apportait des kilos de nouilles, des vers de Castera, des heures de jeux avec leurs enfants et l’insouciance de ne pas avoir dans les pattes un homme encombrant. TiPoèt savait se faire léger comme une plume. Tout l’inverse de cette chose de mariage, de serments et de couleur de faire-part.

Il regarda la journée commencer sa fin tranquille. Il était temps de quitter son repaire de livres pour partir à la recherche d’une distraction peut être plus terre à terre. Finalement, le salon du Mariage tombait à point pour se moquer du monde et bailler aux corneilles de la vie avec élégance.

Le salon s’organisait petit à petit sur les deux flans de la rue. On montait des stands, petits chapiteaux blancs de plastique, sur lesquels commençaient à s'amonceler des décorations adéquates. Guirlandes de cœurs, ballons dorés et argentés, fleurs en tissu (distinctes de celles destinées habituellement aux obsèques, bien sûr). Les sponsors déposaient par grappes des ballons siglés, des bandeaux autocollants et des affiches colorées. Champagne Canard Duchenne. Bijouterie Brin d’Or. Voitures Prestige Location. Digicel For Ever. Traiteur Le Papillon Bleu. Un tapis rouge, large et épais, traversait tout cela en avenue principale.

La sono commençait à crachoter des chansons d’amour françaises, créoles, brésiliennes, dominicaines. TiPoèt, qui les connaissait toutes par cœur, chantonnait doucement un solo de promenade.

« -...Et chaque jour tes yeux m’apprennent A être heureux pour la première fois... »

Les badauds arrivaient peu à peu. D’élégants couples jeunes et bourgeois, lunettes de soleil Guess, talons hauts et sac minuscule pour elle, sneakers personnalisées et chemise cintrée pour lui. Des couples moins jeunes, main dans la main, venus pour se souvenir ou pour se tenter car l’amour n’a pas d’âge. Des hommes grands, serrés dans des costumes de circonstances, suant sous le harnais. Des femmes d’affaire en tailleur, supervisant l’installation d’un vase, d’une affiche promotionnelle, la voix haute et le téléphone plat collé contre l’oreille. Et puis, au milieu de toute cette foule de gens, quelques couples modestes.

TiPoèt en vit un qui lui sembla attachant.

C’était une petite famille dont la pauvreté s’affichait par le détail de leur unique sac, une poche en plastique qui contenait un reste de pop-corn et un petit jouet chinois. L’homme et la femme, très jeunes, portaient la beauté des simples gens. Leur fillette, tirée à quatre épingles et coiffée d’une tresse savante, jouait à quelques pas d’eux sur le tapis rouge. Ils regardaient les stands un à un, lentement, et se souriaient, comme pris à un jeu d’imagination très agréable et assurément impossible. Ils regardèrent des bagues ornées de diamants. L'homme se pencha à l'oreille de sa compagne pour lui dire quelque chose et elle lui répondit par un sourire.

Whitney Houston se mit à chanter « I will always love you ».

La magie sucrée de l’instant fut rompue d’un coup d’épaule qui fit sortir TiPoèt de sa contemplation. Un large compère, encostumé d’anthracite, lui plaqua ensuite sa main entre les omoplates et commença la joyeuse ribambelle des salutations, surpris de le trouver là.

- Que viens-tu faire ici, espèce d’intellectuel ? s'exclama t-il. Tu viens pour séduire une femme de bien, ou quoi? Je te connais. Tu n’es certainement pas là pour les ballons et les réservations de salles, petit Dom Juan mécréant ! Ou alors tu t’es oublié toi même en sortant de la bibliothèque…

-Quelque chose comme ça, répondit TiPoèt, à demi fâché de voir sa petite rêverie brisée en deux par un fâcheux, qui était de surcroît un fâcheux ironique. Je me perdais tranquillement au milieu des déclarations d’amour.

- Je ne m’y perds jamais, moi. Fais-moi confiance. Je sais toujours ce que je dis et à qui je le dis. Sinon, le résultat, c’est le bordel.

Le clin d’œil appuyé qui accompagnait cette déclaration prosaïque était teinté de connivence. De toute évidence le fâcheux se considérait lui même comme un grand séducteur.

Cependant son portable vibrait très régulièrement. Il s'agitait, enchaînant les voices. Avec humeur.

- Je te dis que le podium est prêt. Il est pas là.

La réponse s'afficha en vibrant. Il répondit.

- Non. Ton slameur devait arriver il y a trente minutes. Il y a personne au stand Digicel Premium.

Encore une réponse.

- Non, je te dis. C’était le point de rencontre.

Puis, pour un autre numéro, mais sur un ton suave :

- Oui, Madame. Tout va bien. Le show va commencer.

- Oui, Madame. Tout le monde est là. Je vous avais dis que tout allait bien se passer.

Et dans un dernier message, se rengorgeant:

- Oui. Tout se passe toujours bien avec moi. Vous pouvez en être sûre. Vous allez voir le show.

Clin d’œil à TiPoèt :

- C’est ma boss. Une dame d’affaire, une vraie. Elle est dure dans le travail mais… c’est un beau morceau de femme. J’aimerais bien monter dans sa voiture.

Un petit soucis anima cependant son front quand il vit l’heure à sa montre.

Puis, il eut une idée : elle traversa son visage.

- Dis moi, espèce d’intellectuel, tu es bien poète ?

- Oui, il m’est échu d’être ce poète, c’est vrai…TiPoèt se redressait.

- Un poète, un slameur, c’est un peu pareil, non ? Ça te dirait de monter sur scène aujourd’hui ? Tu vois, dans dix minutes, on fait une animation. On annonce ton nom, tu montes, tu dis quelques poèmes. Tu descends, on te donne une récompense et nous allons tous bien : tu as la gloire, j’ai remplacé ce débile qui ne sait pas être à l’heure...Je pense qu’il va arriver demain, quand tout sera démonté... l’animal !

TiPoèt hésitait. Il voyait mal le rapport entre le camarade en costume, le salon du mariage et la poésie. Encore que, pour parler d’amour, tout était facile. Les vers de TiPoèt n’étaient qu’amour du monde. Il prévoyait cependant de disparaître le plus rapidement possible lorsque l’ami en costume s’agita, le saisit au bras et l’avança en guise de preuve devant une femme effectivement jolie mais aussi très dame et très patronne.

- Il est là ! Vous voyez ? Il est là! C’est lui.

La dame baissa ses lunettes de soleil Givenchy et le toisa avec l’art de celles qui toisent depuis l’âge de huit ans.

- Je ne le voyais pas comme ça.

Elle avait la voix grave. Elle était presque déçue.

TiPoèt, piqué, pris le rôle au vol.

- Madame, tu ne veux pas me voir moi : tu veux voir la Rue. Le ghetto. On t’a dit slameur, tu t’attendais à un bay de Chicago. Lunettes noires, locks longs, tramail et grosse chaîne en or. Mais ce soir, dans la nuit qui tombe sur la Palmiste, tu vas me voir poète. Ce soir c’est l’amour qui parle. Aux gens. Aux pauvres. Aux riches. Alors laisse moi leur donner un peu d’amour puisque mes mots savent le faire.

Elle eut l’air surprise, derrière ses lunettes.

- Tu es amusant. C’est déjà ça. Vas-y, donc. Moi aussi je t’écouterai. Mais ne fais pas honte à la bijouterie Brin d’Or, je suis ton sponsor aujourd’hui !

Pris au piège mais n’en laissant rien paraître, TiPoèt suivit nonchalamment son compère vers le fameux stand Digicel Premium. Tout au bout du tapis, le podium trônait, tapissé de moquette rouge synthétique, ébloui de spots blancs, entre deux stands de conseillers organisationnels qui proposaient d’unir des thèmes aussi compatibles que diamants et karaté.

L’heure était un peu grave. TiPoèt savait qu’il allait devoir, en quelques minutes, s’inventer un personnage, dire des vers et repartir. La dame avait parlé d’un cadeau, d’une récompense. Tout arrivait à celui qui savait partir à point.

La musique était plus que jamais mielleuse et roucoulante. Le D.J se surpassait. Bachata. Stand by me.

When the night has come

and the land is dark…

Et puis tout d’un coup :

- Po po po, les amoureux ! Ce soir, c’est pour vous ! La soirée du love et du mariage, c’est ce soir, rue du Général De Gaulle à Kayenn city, ville Kapital! Po po po, ce soir vous allez avoir de la musique, du love et de l’ambiance avec pour vous tout de suite l’amour avec un grand A et Bek2Luv, notre invité spécial pour l’amour du slam ! Applaudissez Bek2Luv, le slameur de la Réno !


Et Tipoèt d’être projeté en pleine lumière, transfuge improbable dans la peau d’un slameur populaire. Il n’eut pas le temps de se récrier intérieurement d’un nom d’artiste aussi peu seyant que celui de Bek2Luv, et s’avança devant le micro. Il plissa les yeux sous les projecteurs aveuglants.

-Et maintenant, pour vous, un freestyle de Bek2Luv !

Sa voix s’éleva au dessus de l’assistance.

- Bonsoir, gens de l’amour, moun de l’amour. Ce soir tout le monde brille dans la lumière . Et ce ne sont pas les projecteurs qui nous font scintillants. Qui vous font scintillants. Non. Non, c’est l’amour que tous peuvent voir au bord des yeux de l’être aimé ! Alors regardez-vous, gens de l’amour. Et applaudissez-vous !

Le public, un peu surpris, s’applaudit donc doucement lui même. TiPoèt offrait un sourire large, benoît et enthousiaste.

- Fé lanmou… Fé lanmou….

Il chanta.

Myope, TiPoèt cherchait un point où poser son regard perdu et concentrer sa mémoire. Il trouva ce point quelques pas au-delà du podium, dans un angle un peu large, juste au dessus des premiers rangs du public. Une affiche avec un clair dessin publicitaire d’étoile. Il commença.

- Suivre ton étoile salutaire.

Il leva une main prophétique.

- Suivre ton amour aux yeux d’oiseaux. Je n’ai plus mal ce soir, j’ai touché ton sein gauche. Celui qui cache ton cœur ; et j’y habite maintenant. Tu ne peux plus me chasser. Si la pluie tombe sur la ville c’est pour que j’y danse de joie ce soir. Les rues portent toutes ton étoile. Au carrefour de ton âme claire je n’ai bu que de l’eau mais c’était un vin pur à enivrer les fous. Pourquoi la ville entière passe t-elle sous ta fenêtre ? C’est pour recueillir l’eau de tes yeux et danser cet élixir de jeunesse. Il y a mille courants contraires dans la rivière de mon espoir. Vais-je te garder ou te fuir ? Je n’ai plus que ta chanson dans ma tête. Les oiseaux sont devenus muets devant ton sourire. Qu’importe, j’irai cueillir du vent pour t’en faire une robe contre les voleurs. Ma pauvreté sera la parure de tes mains. Je pourrais couronner ta tête avec des mots immortels et je te servirai des plats mirobolants d’amour et de tendresse.

Le petit couple de tout à l’heure lui donnait décidément plus d’inspiration que l’étoile publicitaire. Il songea aux deux amoureux, à leurs gestes tendres. Il ne voyait vraiment rien, avec ces projecteurs blancs dans les yeux. Il faisait chaud. La sueur coulait lentement le long de l’ouverture de son col de chemise.

- Lorsque j’ai pris ta main ce soir là, je suis devenu tout petit. Ton nid est devenu ma forêt. Nous pouvons parcourir le monde sans peur de nous perdre. Plus jamais je ne serai seul avec ton sourire dans mes yeux.

Des spectateurs commençaient à applaudir dans le public. Les regards étaient toujours surpris, mais émus, aussi. TiPoèt sentait que les choses tournaient autour de lui. Il devait finir vite, avant que la bulle créée par sa poésie n’éclate en plein vol.

- Un grand poète a écrit :

« Te voici dévêtue dévoilée dévolue

violente par nuées et brassées

au plus haut de l’écriture

je t’aime dans la longévité du mot

je t’aime dans la brièveté de l’acte

tes rires ont saccagé le basilic du songe

et ton corps s’est offert blessé »

Et je vous dis à présent merci. Merci public du Salon du Mariage, de m’avoir écouté et d’avoir recueilli en votre cœur les vers de Georges Castera, le plus grand des poètes.

Les yeux toujours éblouis, il se pencha dans un salut bref et poli, cherchant à l’aveuglette quelqu’un qui lui indiquerait comment sortir de scène. Il choisit de partir vers la gauche, espérant tomber par chance sur le bon coté. Le D.J animateur enchaîna.

- Merci cher public ! Veuillez applaudir Bek2Luv ! Notre surprenant slameur et poète de la Réno ! Des applaudissements s’il vous plaît pour Bek2Luv, invité par la bijouterie Brin d’Or ! Ce soir, pour tous les porteurs de la carte « Rose comme l’Amour », vingt pour cent de remise offerts sur les alliances de la bijouterie Brin d’Or, partenaire du Salon du mariage ! On enchaîne tout de suite avec Niko et Sandra, nos animateurs préférés de Radio NouPeyi ! Niko et Sandra vous présentent leur nouveau sketch ! Bientôt au Zéphir, pour toute la famille !

TiPoèt se retrouva ensuite sous une tonnelle en plastique blanc. Il était sorti un peu n’importe comment du podium, l’air de rien, faisant comme à son habitude de tout obstacle une évidence prévue de longue date. Il n’était pas tombé malgré son éblouissement. Sa myopie lui avait donné cet air inspiré et flottant qu’on attribuait aux aèdes de l’ancienne Grèce. Tout allait bien.

On lui proposa en sortie de scène une coupe du champagne sponsor. Le compère en costume, tout sourire, sauta sur lui. Il lui dit très bas, tout en faisant mine de l’encourager chaudement :

- Animal ! Tu m’as fait peur avec tes roucoulades bizarres sur les gens de l’amour ! J’ai faillit manger mon IPhone ! Tu ne pouvais pas plutôt commencer par remercier Brin d’Or et Madame la Maire ? Heureusement, le D.J t’a bien rattrapé. Et je ne sais pas comment ni pourquoi, mais la patronne a eu l’air contente… c’est inespéré ! Mais ne reste pas trop là...Si Bek2Luv arrive, on va vite comprendre le problème...Je tiens pas trop à lui expliquer qu’il vient de citer un gars qui s’appelle Castro ou Castra.. Un cubain, non ? Tu fais de la politique ? Attention… Et au fait tiens, prends ça ! C’est ton cadeau.

Le compère lui tendit un parapluie et prit la fuite.

Incrédule, TiPoèt ne présenta pas sa main en retour et le parapluie chuta bruyamment au sol. C’était un parapluie blanc, assez grand, sur le manche duquel on pouvait lire « Salon du Mariage » en lettres noires.

TiPoèt n’eut pas à se baisser pour le ramasser. La patronne du Brin d’Or, très droite et élégante, haut perchée sur ses talons, venait de le faire pour lui. Elle ne portait plus ses lunettes sombres. Elle tendit l’objet, et son regard direct fusa sur lui comme celui d’un prédateur nocturne.

- Décidément, vous méritez mieux, dit-elle.


*


La boutique était juste à coté. Installée au rez de chaussé d’une maison blanche à petite colonnade. Il faisait lourd, l’air de la mer ne rafraîchissait plus rien. Elle dut pousser lourdement la porte fermée. A l’intérieur, la pénombre était épaisse, à peine ondoyante sous les projecteurs et les bruits du podium tout proche. Au fond de la pièce peuplée de silhouettes de vitrines, une porte.

Il s’avança et découvrit derrière un petit bureau, des rangements, des cartons remplis de factures. Il supposa un instant qu’elle voulait lui offrir un stylo, un bibelot, un objet quelconque et décoratif. Mais il n’en fut rien. Dans la pénombre, il ne vit que ses yeux le perçant jusqu’à la moelle et lorsqu’elle s’agenouilla et ouvrit sa ceinture, il ferma les yeux et récita pour elle :

« Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants, Et dans cette nature étrange et symbolique Où l'ange inviolé se mêle au sphinx antique, Où tout n'est qu'or, acier, lumière et diamants, Resplendit à jamais, comme un astre inutile, La froide majesté de la femme stérile. »1

1Charles Baudelaire, les Fleurs du mal, 1857.






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