1
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Naissance hypertrophiée d’un monstre
quelque part,
sur une île paradisiaque au milieu d’un océan un homme hirsute caresse le sable
il regarde le Soleil
la Mer
Il croît en Dieu
il porte en lui d’innombrables noms
il en donne un à cette île qui s’appelle déjà
qui porte un nom flûté
un nom qui résonne dans le haut des palmes vertes et moirées du jus des vents de la saison des pluies
Il a déjà l’habitude de tout nommer
et de détruire toutes les langues
La plante de son pied est le sceau d’un nouvel âge terrestre
d’un nouvel ordre
d’une nouvelle terre
d’une nouvelle strate
Il ne sait rien de tout cela,
c’est un homme hirsute sur une plage blanche de sable corallien
il a - dans la petite baie - son bateau de bois
aux larges pans puants l’ancienne peur de la mort
Il est vivant
il n’a entendu aucune trompette sépulcrale
n’est tombé dans aucune langue de feu putride
il n’a vu aucun des chevaliers de l’Apocalypse
2
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Le jardin du monde est ouvert,
largement
c’est une femme aux rondes cuisses ruisselantes
de vie d’arbres de plantes de fruits de graines de saveurs âcres sucrées ambrées musquées florales poivrées cannelées
de bêtes brunes et douces et de vers luisants dans l’ombre
d’ours pandas aux verts bambous
d’architectures d’insectes dans la nuit Amazone
des fruits flamboyants aux chairs fades
de pommes s’arrondissant sur les hauts flans des Andes
de maïs jaunes des plaines de Géorgie
de champs de fleurs mêlées jusqu’au bout de l’horizon
des lacs des pierriers des mornes des marais des plaines des isthmes des gouffres des péninsules
des roches couvertes de la vie des lichens
des nids des grandes frégates marines - les cieux
des tortues géantes et centenaires sous tous les océans
des pollens ébouriffés
Le jardin du monde est ouvert.
3
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Loin des paisibles et tendres annamites phalloïdes
- dans le grouillant monde des hommes-
nous tombons dans le droit gosier
de l’Enfer de Dante
La malepeste à bubons
la variole gracile
dans un bruissement d’air
se sont déployées
- les merveilles
des miasmes invisibles
et incurables
Les corps dorés, cuivrés aux longs cheveux bruns et raides
tordus dans une danse de fièvre
les femmes aux seins hauts et coniques
gorgées du pus des infections malignes
arachnéennes de souffrance
les hommes nus
arrachés au sommeil de la mort par la flûte
assassine
cortège d’un Orphée sadique
pluie acide inconnue
venue d’un enfer inconnu
que rien ne peut arrêter
ni les prières
ni les sacrifices
ni les conversions
tous ces régimes de pacotille des hommes
cette armure de papier dont ils se parent
les enfants écumants terrés sous la précoce terreur
l’absence de sens
la vacuité de la mort
les monstres imaginés vivant sous leur propre peau
4
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Et ainsi l’océan des conquêtes s’acheva
dans une lente danse de fin de carnaval
épuisée et sanguinaire
dans les tournis et les festoyantes odeurs
sur la crête couronnée infinie des atolls
partout où il s’était donné en spectacle
il mourra presque paisiblement
il ne revint que quelques chevauchées de siècles plus tard
et ce temps de repos fut un berceau d’argile
posé sur un nénuphar
les étoiles ondulèrent
et la nuit en devint plus noire et plus brillante
5
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Tout ceci est le conte d’un monde suranné et fantasque
perdu à nos souvenirs et fermé à nos yeux
séparé de nous à jamais par la cataracte déferlante
des actes des prières des guerres
et des espérances
en un certain lieu au fond de nous mêmes
nous croyons toujours au Jardin Originel
au nid moussu et bleuté
nous pensons pouvoir le retrouver
d’ un acte juste
d’ une pensée bonne
par la tendresse
par l’effort
par le recueillement
il n’en est rien
nous ne toucherons plus jamais cette terre ancienne
que nous avons détruite
de nos renoncements
Nous feignons la crainte et le deuil
voilés de soies
masqués d’ébène
veinés de plomb
mais cela ne nous va aussi mal que l’incertitude

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