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Photo du rédacteurCretté Alexandra

Amazone chaos, chapitre 4, un roman de science fiction par Alexandra Cretté

Aristide Deviaux






Une brise légère s'annonçait entre les jalousies de la véranda est. La lumière matinale était douce sur le parquet de mahogany sombre et parfumé. Le jasmin et l'ylang-ylang embaumaient l'air au coin du jardin. Le ciel était limpide, un bleu d'une transparence limbique.

La maison reposait, trapue et vénérable, sur la petite hauteur du Fort Cépérou. Un des antiques vestiges de la vieille ville, une demeure de bois, de briques et de tuiles, ouverte aux vents par ses terrasses latérales et les multiples ouvertures : jalousies, linteaux, persiennes. Toute en teintes pastel, tendres à la lumière du soleil d'Amazonie. Elle sentait le passé et une conception désuète de l'élégance. Seul l'écran holo de protection, dont on ne devinait la présence qu'au boîtier sombre qui ronronnait près du portail, laissait deviner l'importance de l'homme qui logeait là et empêchait de songer à un simple riche original épris du passé.

Personne, d'ailleurs, ne pouvait voir les terrasses ou l'intérieur de la maison de l'extérieur. Les bougainvilliers, les buissons ardents, les orgueils de Chine y fournissaient une muraille de broussaille multicolore et protectrice.

Ce fut dans ce tranquille luxe à l'ancienne, au milieu de ses livres et entre les circonvolutions d'un chat de Perse, qu'Aristide Deviaux s'avança comme tous les matins sur sa terrasse orientée nord ouest, afin de profiter de la vue imprenable sur le skyline, une tasse de café à la main.


Il logeait dans l'En-Ville, ce minuscule quartier, le plus vieux de toute l'agglomération, situé entre les mornes Cépérou, Bourda et Baduel. L'ancienne bourgade avait presque complètement disparu sous les exigences de l'agencement de la mégapole France-Kayenn, mais il y avait encore quelques lieux qui sentaient l'histoire et le passé. Il en habitait un, avec un plaisir non dissimulé, dédaigneux des logements modernes bio-intégrés qui rencontraient tant de succès avec leurs coupoles, leur aéroforming forestier et leurs technologies intégrées. C'est à peine si sa maison était climatisée, d'ailleurs, ce qui lui donnait une réputation d'inconfort total et incompréhensible.

Cependant tout le monde s'accordait pour lui reconnaître une vue incomparable sur la Cité, de l'autre coté du fleuve.


La Cité, le quartier d'affaire, s'étendait de la bio-tour LOréal de la Pointe Liberté aux quatre tours gigantesques de la ComDem de Soula, qui en constituaient le centre névralgique, hyper surveillé, strictement réservé aux Cartes Intégrales. Les dizaines de hauts buildings, tours en verre, métal et béton pour les plus anciennes, en bio-béton et armature végétale renforcée pour les plus récentes, tous scintillaient dans la lumière matinale. Leurs silhouettes effilées et serrées tranchaient l'espace vertical. Entre elles s'enchevêtraient les viaducs et les aéroducs de circulation, posés sur leurs hautes arcades de métal argenté. De l'autre coté de l'estuaire large et serein de la rivière Cayenne, le premier pont flottant, long de plus de quatre kilomètres, avançait, léger, son armature nervurée de tantalium à plus de quatre vingt dix mètres au dessus de l'eau. Quelques ibis traversèrent au loin, graciles et violemment carmin dans le ciel bleu.

La vue était admirable et Aristide Deviaux en goûtait d'autant plus la grandeur que tout cela, la ville, l’estuaire, la Cité, était comme une expansion de lui même, comme né de sa seule pensée, produit par la longue liste des initiatives déterminantes et historiques qu'il avait eu à prendre tout au long de son intéressante existence.


Il savoura tranquillement son café, admira les reflets du soleil naissant sur l’onde bleue.

Puis il rejoignit son bureau, au milieu de sa salle de travail ; c'était un meuble très ancien, comme on en trouvait encore dans les salles et bureaux de l'Elyseum. Un vieux meuble venant de Zone Met et hérité d'un passé profond comme les abysses. On racontait qu'il s'agissait du bureau de son père Jules ; mais il n'en était rien. Le bureau de son père à l'ONU n'avait jamais été autre chose qu'un meuble fonctionnel dans une matière polymère et synthétique sans rapport aucun avec les nobles boiseries et insertions de cuir de celui-ci. Mais Aristide se plaisait à constater combien la légende entrait vite en contact avec tout ce qui touchait aux symboles de sa famille. La Légende montrait le rayonnement du pouvoir.

Aristide aimait le silence, surtout ce silence matinal plein de vent délicat et de chants d'oiseaux, du frémissement des palmes hautes et des branches fleuries, un faux silence si lointain de celui, abyssal et mortuaire, des plaines de la Zone Met. Il aimait de plus en plus travailler dans ce silence, surtout à son âge, puisqu'il se dirigeait tranquillement vers l'âge vénérable de soixante seize ans. Certes, les traitements revitalisants avaient bien fait leur travail. Il était vif et solide comme un très récent quinquagénaire et pratiquait encore facilement quelques parties de tennis devant la presse. Sa pensée, elle, n'avait pas eu besoin de quoi que se soit : elle restait dense et brûlante ; dans ses yeux gris sombres brillait toujours la même flamme.

Il s'assit dans son fauteuil et vérifia, au coin droit de l'intercom, l'heure. Sept heures trente quatre. Il restait un peu plus de dix minutes avant le contact.

Il songea à l'organisation de sa journée. Dès huit heures, il faudrait commencer la tournée des popotes, des bureaux de campagnes, des spin-cabinets, des programmateurs de la Com Dem. Vérifier et analyser les images de lui prises un peu partout. Verner allait bientôt arriver, avec ses trente cinq ans, ses cheveux dorés, son teint d'abricot et ses diplômes de communication de l’École Supérieure d’Économie de Manaus. Une sorte de fils par procuration, du moins là était-ce l'image propre à la Légende qu'Aristide voulait imprimer dans les esprits de tous. De fils, il n'en aura jamais eu qu'un, une seule petite silhouette fragile dans une faille glacée et toujours ouverte de sa mémoire. Il tourna son regard vers le skyline, et fut repu encore une fois du sentiment de la grandeur des choses accomplies. Pas de regrets. Jamais. Pas de regrets et plus jamais de maison face à la mer. Du continent. Des rivières pour bâtir des ponts par dessus. De la terre à construire et sur laquelle poser les pieds des hommes qui construiront le monde qui habitait sa pensée.


Alors, en souriant à peine, Aristide songea qu'on pouvait laisser Verner devenir la petite vedette de cette ultime campagne. De toute manière, ce gamin à belles dents était l'homme parfait pour tenir le rôle de l’héritier lors des prochaines élections. Élections qui, elles, ne demeureraient que ce qu'Aristide voulait bien qu'elles soient : un jeu spectaculaire de communication, déjà réglé à l'avance.

Le moment était arrivé ; il se replaça devant l'intercom et, à la seconde près convenue, apparu sur le mur de la bibliothèque un visage quelconque derrière lequel on devinait le décor d'une tout aussi quelconque et blafarde chambre d’hôtel sans fenêtre. L'homme était terne et gris, par son teint et une certaine absence d'espoir dans le regard. Tout cela, plus les légères crevasses de ses lèvres et le pull en fibre de kevlar, indiquait que l'homme se trouvait en Zone Met.

« Tout s'est normalement passé », articula lentement l'homme sur le mur. « Je descends à Marseille dans quatre heures. » Il regardait un point vague devant lui. Son ton hésitait, ses pupilles erraient dans un mouvement de gauche à droite sans trouver d'indice. Visiblement, le brouilleur à sens unique fonctionnait bien, encore une fois. L'homme n'avait aucune idée de l'identité de la personne à qui il parlait.

Aristide se pencha vers le brouilleur auditif :

« Bien. Vous recevrez là bas, toujours par le même contact, des documents précieux dont vous saurez profiter très certainement ».

L'homme gris regardait dans le vide, comme sonné par cette phrase. Il semblait vide, épuisé et animé par sa seule anxiété. Aristide le regarda une dernière fois, pour jauger cette ancillaire fourmi qui œuvrait en silence à des milliers de kilomètres de là et coupa la communication.


*


Aristide, du haut de sa terrasse, regarda Verner glisser son annulaire le long du rebord du mur d'entrée, activant ainsi son intercom d’identification, familier de ce petit geste désuet qui était sensé rappeler l'ancien usage d'une clé. Aristide avait des plans pour Verner, des plans précis, qui lui offraient un avenir très acceptable. Le vieil homme songea à ce qu'il aurait fait, lui, à cet âge, de ce genre de proposition.

Verner se glissait silencieusement à l'intérieur de la maison, d'un pas de grand félin, précis, véloce et sans pitié. Certes, Verner n'était pas seulement un sourire et un brushing parfaits pour les 2dems de campagne. C'était aussi un carnassier, un peu jeune encore. Aux dents encore peu offensives, faute d’avoir encore vraiment plongé dans les problèmes qui vous salissent durablement les mains. Persuadé à tors de détenir une puissance d'action importante. Aristide s'y connaissait en carnassiers politiques. Il se voyait lui même comme le sommet de ce genre de chaîne alimentaire.










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